Par Soufiane BEN FARHAT Un impératif, moraliser la vie politique. Non point pour des considérations puériles ou puritaines. Mais bien plutôt en vertu des règles de la déontologie. Et la déontologie, tous les secteurs en ont. L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) s'est heureusement penchée de près sur la question. Elle a organisé, il y a deux jours, une rencontre avec les partis politiques sur le thème "Le processus électoral : l'après-inscription". Un projet de code de bonne conduite a été proposé aux partis en prévision des élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre prochain. Selon M. Kamel Jendoubi, président de l'Isie, ce code comporte un ensemble de principes visant à "créer un climat permettant d'assurer le succès du processus électoral conformément aux principes d'ouverture, de respect mutuel, de neutralité et d'égalité des chances". Soit. Mais récapitulons d'abord le topo de l'affaire. Ce qui se passe depuis quelques semaines est effarant. L'argent politique et la publicité partisane semblent en passe de chambouler le paysage politique tunisien. Dans le mauvais sens s'entend. Visiblement, l'argent s'est emparé et des partis et des médias. Du coup, il s'avise de s'emparer des esprits et des consciences. Des entrepreneurs mastodontes, jusqu'ici d'illustres inconnus, ont investi la place. Ils n'y vont pas du dos de la cuillère. Ils font miroiter le gain et les bénéfices aux hirondelles fascinées par l'appât. Et exigent des révérencieux salamalecs et de manifestes baisemains au besoin. L'argent n'a pas d'odeur, certes. Mais il crée de bien étonnantes tribus et coteries politiques. Le danger d'italianisation de la vie politique tunisienne guette. On ne le sait que fort bien, hélas ! Les influences des réseaux occultes ont en effet dopé en Italie des mouvements politico-mafieux particulièrement réactionnaires. Ils ont fini par porter Berlusconi au pouvoir. Du coup, l'Italie n'a plus de vie politique saine, de littérature d'envergure, de culture et de cinéma. Seuls les scandales et les coups bas y sévissent. La chronique politique s'y assimile à la fameuse cronaca nera (chronique noire de faits divers crapuleux). Pourtant, la politique, en Italie, a connu ses heures de gloire. Chez nous, certains placeurs de fonds se sont improvisés politiciens après la Révolution du 14 janvier 2011. Ils tentent d'infléchir le mouvement dès ses premiers balbutiements. A coups de spots publicitaires, de grandioses campagnes publicitaires et de mannes d'argent qui coule à flots. Ils n'hésitent pas à afficher leurs moyens matériels immenses dont l'arrogance n'a de pendant que l'inconsistance, voire l'inexistence pure et simple de programmes politiques. La liberté du plus fort opprime et la loi protège. Or, en l'occurrence, notre loi ne protège point. L'absence de normes en est la principale cause. Parce que la loi, toute loi, ordonne, permet ou interdit. Et le silence de la loi équivaut à permission. Une question se pose dès lors : est-ce que l'argent politique sera décisif dans les élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre ? Auquel cas, tout sera vicié à la base. Le non-respect des élections ne se limite pas au seul bourrage des urnes. C'est un procédé trop classique pour ainsi dire. Les servitudes entretenues, les allégeances douteuses et les bourrages de crânes sont des techniques autrement plus efficaces. Et perverses. Toute dynamique de groupe a des règles de jeu. En politique, cela s'appelle code de conduite. Dans les médias, cela s'intitule déontologie. Personne n'en est exempt. Tout secteur est basé sur une organisation et des processus de régulation internes et externes. Vouloir maintenir le flou à des fins inavouées en dit long sur les desseins secrets des uns et des autres. A défaut de consistance politique, certains pensent pallier leur déficit de légitimité par des moyens détournés. Argent, arrimage à des réseaux internationaux au besoin et captage de ressources occultes en sont des ingrédients. Et le danger guette. Il menace de faire de la place politique une place forte des réseaux mafieux. La troisième partie du film Le Parrain l'a bien illustré. Parce que la mafia est aussi politique. Elle est, de nos jours, fondamentalement politique. On n'a pas fait la Révolution du 14 janvier pour qu'une autre mafia tienne le haut du pavé.