Par Souad SAYED La tempête soulevée par le départ à l'étranger de Mme S. Agrebi a de quoi étonner les non-expertes en droit et celles que les scandales étalés à la une des journaux ne passionnent pas et pour tout vous dire, je trouve cette surmédiatisation improductive et suspecte. Les réactions d'indignation sont d'autant plus incompréhensibles que l'on sait que les El Matri père et mère et d'autres personnalités ont quitté le territoire national quelques jours après la révolution sans que personne ne s'en offusque. En conséquence, je ne me permettrai donc pas de donner mon avis sur les éventuelles accusations de malversation portées contre quiconque. En revanche, sur le plan moral et éthique les faits sont là. "L'humanité a eu pour gouvernants des bourreaux, des fanatiques, des voleurs, des faux-monnayeurs, des banqueroutiers, des fous, des corrompus et des corrupteurs. Quelle n'est pas la responsabilité de ces hommes qui, ayant reçu le pouvoir pour éclairer et moraliser les peuples, ont abêti et dépravé par de mauvaises lois et de mauvais exemples ! Il n'y a pas de plus grands malfaiteurs que les malfaiteurs politiques, qui par leur ambition, leur cupidité et leurs rivalités, fomentent les divisions et les haines. Les malfaiteurs ordinaires que jugent les tribunaux ne tuent et ne volent que quelques personnes ; le nombre de leurs victimes est restreint. Les malfaiteurs politiques, au contraire, font des milliers de victimes, ils corrompent, ils ruinent des nations entières. La civilisation a tout perfectionné, tout, excepté la politique, qui se fait toujours avec la ruse, l'intrigue, le mépris du droit et de la liberté..." ,écrivait Louis Proal...au 19e siècle. Comme d'autres, nous avons fait et nous allons continuer à faire nos expériences et apprendre à vivre ensemble dans notre patrie et la politique se fera toujours par les politiciens. En revanche, la société civile comme contre-pouvoir doit obéir à d'autres règles et cela n'a pas été le cas en Tunisie. A qui la faute? Mes regrets, c'est d'avoir passé les plus belles années de ma vie à me morfondre à attendre le jour où tomberont les corrompus et les corrupteurs. Il me semble que ce jour est arrivé paradoxalement tard et trop vite. Le 14 janvier, comme un château de cartes, en 24heures, tout devenait possible! Tous les acteurs du régime évidemment et nous avons trop tendance à l'oublier ne sont pas tombés, loin de là, mais les décideurs ont été au moins mis à l'écart! La liberté chèrement retrouvée nous a conféré des responsabilités face à nos concitoyens et nous n'étions pas prêts à assumer. Il n'est donc pas étonnant de constater aujourd'hui, huit mois après la révolution, que dans tous les domaines où la parole et l'action ont été confisquées pendant 23 ans, nous ayons dilapidé notre capital international de sympathie. La peur et les inquiétudes ont succédé à l'optimisme et à l'admiration. La corruption de la société civile est à mon sens la principale raison du marasme actuel. Les sociétés comme les hommes ont une mémoire, des traditions et des règles de vie. Des années durant, des têtes de pont d'un régime oppressant ont, en monopolisant des espaces vitaux, détruit des carrières,favorisé des incompétents. En fonction de leurs humeurs et sympathies respectives, ils ont servi et se sont servis chacun de son domaine de compétence pour brider, infantiliser, soumettre des bans entiers de notre vie commune. Ils ont mimé les comportements de leur vénéré chef jusqu'au ridicule et exigé une servilité équivalente à celle qu'ils manifestaient au dictateur et gare aux réfractaires, heureusement pour eux ils étaient peu nombreux ! Ils ont joué aux apprentis-sorciers en manipulant les données à des fins démagogiques.Leurs méthodes de propagande étaient ridicules, primaire, et ont produit l'effet contraire à leurs prévisions. Plus grave que les enrichissements personnels, ils ont terni l'image de la Tunisie et hypothéqué l'avenir de notre société dans des domaines aussi importants que la presse, la médecine, le sport, l'écologie et la vie associative en général. Par leurs agissements, ils ont discrédité des institutions essentielles à une vie saine d'une communauté. Par ce comportement, ils ont rendu le citoyen tunisien suspicieux. De par leur faute, nous vivons une grave crise de confiance au sein de ces secteurs et sans la confiance rien de positif n'est possible. Est-il intéressant de s'attarder plus encore sur leurs méfaits ? Sûrement, mais à mon avis la vraie question est pourquoi sommes-nous tombés si bas sans réagir? En d'autres termes, pouvons-nous revivre la même chose dans un an ou deux ? Rien ne l'interdit encore, sous les Beys,sous Bourguiba nous avons eu l'équivalent quand ce n'est pas les mêmes personnes qui ont simplement changé de casquette. Je voudrais finir par dire que nous sommes à titre individuel et collectif aussi responsables qu'eux de la crise de confiance que nous traversons. Ce n'est pas en criant plus fort contre Slim ou Saïda que l'on sera absout de nos fautes! Dans la sérénité et en bonne intelligence avec notre réalité, nous pouvons entamer un travail de fond sur les mécanismes qui ont permis les dérives. Pour que plus jamais personne ne prenne notre société en otage.