Par Hedia Baraket La chute imminente du régime libyen, la précipitation et la dure répression de la révolution syrienne, la crise financière mondiale, la crise politique universelle, la famine en Afrique et… l'éruption démocratique tunisienne… Ces évènements épars nous remettent devant une question unique : vers quelle politique peut se diriger aujourd'hui un pays délesté d'un dictateur et lesté du lourd héritage de la dictature ? Au-delà des disparités de l'histoire, des guerres du moment et des bifurcations à venir, les révolutions arabes viennent des seules et mêmes revendications; dignité, liberté, justice se trouvant être celles d'une jeunesse mondiale, voire d'une partie de l'humanité prise dans les sous-sols d'un système politico-financier qui ne sait plus lui garantir les conditions minimales de son humanité : la dignité, la liberté et la justice. Idéalement, théoriquement, ces révolutions inédites, au commencement surgies du génie populaire et touchant à l'universel, devraient accoucher de politiques alternatives, humanistes tout aussi inédites et créatives; dégagées des calculs partisans et des lobbies d'argent qui partout ailleurs déversent leurs désordres et tombent en caducité. Seulement voilà, le temps des révolutions est compté et avec ses limites et ses précarités, la démocratie est à ce jour le seul système nommé invoqué au chevet des sociétés malades en ce qu'il compte comme vertus thérapeutiques et comme aplomb et assurance, à savoir un socle fiable et inusable de droits et une capacité illimitée d'acclimatation et de renouvellement. On aurait bien vu le petit pays qui a inauguré le cycle des révolutions arabes sinon créer son système inédit du moins célébrer avec civisme sa première leçon de démocratie. Mais alors qu'est-ce qui fait le tumulte et l'opacité, voire l'incivilité, qui entourent cette première leçon ? Qu'elle se soit manifestée sous la forme de l'éruption et de l'ébullition fait certes de la démocratie naissante quelque chose qui relève naturellement de la tourmente. Mais il serait fatal, comme cela se fait en toute légèreté, d'imputer ces violentes allures de tempête à la finalité démocratique même ou de discréditer les instances qui en ont la charge aujourd'hui. Deux raisons au moins sont invoquées. La première consiste dans les faiblesses générales de l'étape transitoire. A mi-chemin entre révolution et démocratie, loin d'un contexte authentique de révolution, loin de l'ordre, de la justice et de la sécurité qui sous-tendent la démocratie, c'est cette étape marquée par la paralysie du droit qui entache notre entrée en démocratie. La seconde raison relève de la caricaturisation et de l'absence de hiérarchisation qui caractérisent la vie politique, les évènements et leur couverture par les médias. Il foisonne des partis, il fourmille des associations, il pullule des médias, il abonde des discours, il se succède des procès, il répond des contreprocès, il parle des avocats, il se défend des associés, il fuit des figures exécrées, il sort du silence des voix que l'on croyait tues, il s'orchestre des révélations, il s'organise des protestations, il se tient des sit-in indéfinis, il s'évade des prisonniers, il s'invente des histoires, il court des rumeurs, il plane doute et suspicion. Il germe des polémiques. Il se poursuit la révolution. Il se profile la contre-révolution. Il éclôt de vrais talents et de piètres suffisances. Il pleut des conférences de presse. Il y a un an, on ne se serait pas reconnu dans ce paysage exubérant. Mais l'abondance tourne aujourd'hui à la confusion. Dans la couverture médiatique, dans l'opinion publique et le discours ambiant, il manque un ordre et une structuration. Tout s'emballe et se consomme dans le rythme brut des évènements. Tout reste touffu dans une actu qui met toutes les actus sur un pied d'égalité, sans hiérarchie, sans échelle d'importance ou de priorités, sans degré de valeur et de qualité, sans critères de genres, sans finalité. Paresse mentale, état révolutionnaire ou manœuvre de contre-révolution, les cent partis sont jetés dans la même poubelle, les trois instances sont l'objet du même discrédit. Les propos d'un avocat des derniers des Trabelsi valent de l'or… L'interview d'une figure de l'avilissement politique et de la médiocrité se clame de la pureté du diamant… Alors, vivement la décantation. Elle se fait par les médias. Il relève de leurs fonctions de peiner à présenter les hommes et les évènements sous leur vrai jour et non enveloppés dans les lumières aveuglantes et uniformisantes de l'actualité. En démocratie, ça se discute et dans le pluralisme, ça doit surtout se décanter…