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Le Monde: La révolution en Tunisie, source d'inspiration pour la Méditerranée
KIOSQUE INTERNATIONAL
Publié dans Le Temps le 19 - 01 - 2011

Pour sa liberté et sa dignité, le peuple tunisien s'est soulevé. Oui, de telles insurrections sont encore possibles aujourd'hui. Elles sont nécessaires. Elles sont prometteuses. Mais elles sont menacées, car elles remettent en cause de puissants intérêts locaux et les structures d'un ordre international établi qui les redoute et travaille d'emblée à les écraser ou à les dévoyer. Elles ont besoin d'unité, de détermination, de lucidité et de solidarité.
Après vingt-trois années de "passivité" apparente, en quelques jours de lutte héroïque et intelligente, sans peur de la répression, sans inflation idéologique, les citoyens et citoyennes de Tunisie - chômeurs avec ou sans diplômes, ouvriers, étudiants, professeurs, avocats, fonctionnaires, commerçants, soldats - ont abattu une dictature brutale et corrompue, ruineuse pour leur pays et honteuse pour leur terre de civilisation ancienne, qui se maintenait au pouvoir en bénéficiant du soutien des organismes financiers, des Etats et des alliances militaires de la région, des experts de la "gouvernance" mondiale.
Cette révolution - car c'en est une - ouvre des perspectives nouvelles, profondément encourageantes pour le peuple tunisien, qui peut maintenant redevenir maître de son sort, restaurer les libertés individuelles et syndicales, régénérer les institutions démocratiques, recouvrer les biens volés ou accaparés par le clan présidentiel, s'attaquer au clientélisme, mobiliser les ressources du pays au service du développement et de la lutte contre la pauvreté.
Elle est une source d'inspiration pour les voisins qui, à des titres divers, affrontent des problèmes comparables, que ce soit au sud ou au nord de la Méditerranée. Elle contribue à créer les conditions d'un nouveau régime de relations internationales, incluant la gestion commune des problèmes de migrations, de sécurité, de coopération économique et culturelle, et associant sur un pied d'égalité des peuples souverains, éclairés, épris de justice et de progrès.
Transition démocratique
Mais trois conditions au moins sont requises pour que de telles perspectives se concrétisent. Ne nous cachons pas qu'elles n'ont rien de garanti.
La première, c'est que les Tunisiens ne voient pas leur insurrection réprimée ou dévoyée par les représentants du système à qui le dictateur en fuite a transmis les instruments du pouvoir, et qui pourraient prendre prétexte de "l'anarchie" - au besoin, la provoquer - pour interrompre la transition démocratique. Il faut que se lèvent au sein du peuple les dirigeants à qui il pourra faire confiance pour la difficile navigation qui s'annonce.
La deuxième, c'est qu'elle ne soit pas étranglée de l'extérieur par des pressions militaires, politiques et économiques conjointes. Déjà, des agences d'évaluation annoncent la dégradation de la note tunisienne sur les marchés financiers, et des voix s'élèvent pour signaler les risques qu'un changement de régime en Tunisie ferait courir au "front antiterroriste".
La troisième, donc, c'est que les opinions publiques et les gouvernements du monde, et notamment ceux du pourtour méditerranéen et de l'Union européenne, expriment clairement leur soutien à la transition démocratique en cours et en fassent aussi leur cause.
Nous les appelons à s'engager résolument dans cette voie, en même temps que nous formons des vœux ardents pour la réussite du changement qui vient de commencer à Tunis.
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Libération
Interview avec Abdelwahab Meddeb Par MARC SEMO «Nous n'avons pas encore notre Lech Walesa ou notre Vaclav Havel»
Ecrivain et essayiste, Abdelwahab Meddeb évoque les enjeux et les défis du processus démocratique qu'entame la Tunisie après vingt-trois ans de dictature du clan Ben Ali.
Quels sont les premiers défis à relever ?
Même s'il passe pour intègre, le Premier ministre Mohamed Ghannouchi [qui n'a pas quitté son poste, ndlr] reste un homme de l'ancien régime, une ombre de ce théâtre d'ombres, car seul décidait vraiment Ben Ali. Or la politique est aussi de l'ordre du symbolique et, sur ce plan, c'est catastrophique. Il faut au plus vite tourner la page sur tout ce qui peut rappeler le pouvoir de celui que nous surnommions ironiquement Chéri-Bibi. Il faut d'urgence un geste fort comme, par exemple, la dissolution du RCD, parti- Etat devenu parti-mafia, qui pourrait être un signal en ce sens.
Le défi est de savoir comment mener ce processus nécessairement assez long et définir un certain nombre de priorités. Dans l'immédiat, il me semble nécessaire de se conformer à l'actuelle légalité constitutionnelle. La Constitution a été malmenée, défigurée, d'abord par Habib Bourguiba lui-même, quand il a créé la présidence à vie, puis par Ben Ali. Mais malgré ces déformations, le noyau de ce texte datant de 1957 est à préserver, car il affirme des points toujours essentiels, comme la laïcité ou l'égalité de tous les citoyens quels que soient leur sexe, leur religion, leur ethnie. Dans cette constitution, il n'y a pas de trace de la charia, aucune référence à la loi islamique comme inspiratrice du droit, contrairement aux constitutions de nombreux autres pays arabo-musulmans. Mais il faut d'urgence nettoyer ce texte de tout ce qui en a dénaturé l'esprit. Et la loi électorale a été modifiée afin de donner plus de temps que soixante jours pour la tenue des premières élections libres. Une nouvelle constitution ne peut s'élaborer dans l'urgence, mais après un grand débat national, qui peut durer des années et qui seul permettra de fertiliser le désert de l'espace public laissé par Ben Ali.
Quels peuvent être, selon vous, les principaux acteurs de la transition démocratique ?
On parle aujourd'hui, en Tunisie, de gouvernement de salut public avec un vocabulaire évoquant un peu la Révolution française. Mais l'opposition - aussi bien l'opposition légale représentée dans le pseudo-Parlement du régime que celle des partis clandestins - ne dispose que d'un personnel politique d'assez piètre niveau. Elle contraste avec la qualité des opposants issus de la société civile qui se sont engagés dans le mouvement : des militants syndicaux de l'UGTT, les membres des associations d'avocats ou d'organisations de défense des droits de l'homme. Il y a ce hiatus, d'autant que ce mouvement sans précédent n'a pas encore produit la personnalité charismatique qui l'incarnerait.
Nous nous trouvons face à un paysage politique dévasté. La situation n'est pas sans rappeler celle de l'Europe de l'Est au moment de l'effondrement du communisme. La figure de Mohamed Bouazizi [le jeune chômeur diplômé dont le suicide, le 17 décembre dernier, a déclenché la révolte] rappelle celle du jeune Tchèque Jan Palach, qui s'était aussi immolé par le feu pour protester contre l'invasion soviétique d'août 1968. Mais si nous avons notre Jan Palach, nous n'avons pas encore notre Lech Walesa ou notre Vaclav Havel.
Etes-vous préoccupé par les risques d'une montée des partis islamistes avec les premières élections libres ?
Jusqu'ici, ils n'ont pas eu vraiment de rôle dans le mouvement qui a renversé la dictature de Ben Ali. Ils étaient absents aussi de la protestation populaire qui, à Sidi-Bouzid, a donné le coup d'envoi de la révolte, que parmi les couches moyennes éduquées et très francophones qui ont pris le relais. Mais les directs de la télévision Al-Jezira mettent systématiquement en avant des islamistes ou des gens proches de cette mouvance, et cela peut avoir pour effet de les remettre sur le devant de la scène politique. L'inquiétude est déjà palpable parmi ces jeunes de la blogosphère qui furent parmi les premiers à s'engager dans la bataille. Mais il ne faut pas en faire un épouvantail, car il y a dans de nombreux secteurs de la société tunisienne un rejet profond de tout ce qui peut évoquer l'islamisme. Ce problème ne se résout pas par les interdictions, ni par la violence d'un Etat policier, mais par le débat démocratique, la confrontation d'idées. S'ils utilisent les armes et prônent la violence, ils doivent alors être traités comme des séditieux.
Les islamistes représentent-ils à terme le principal défi pour la Tunisie?
Les islamistes tunisiens pourront, j'espère, évoluer comme les islamistes turcs de l'AKP qui, malgré des ambiguïtés, ont effectué une mutation et ont accepté la démocratie. J'étais un intégriste laïc et j'ai évolué. On ne peut pas imposer d'en haut et par la force la laïcité et la démocratie. La liberté est un droit naturel.
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Le Courier internationale
Pourquoi il y aura encore des révoltes
Il est temps de relire Amartya Sen. Cet économiste d'origine indienne, lauréat du prix Nobel, a écrit des pages décisives sur les relations entre famine, développement?et?démocratie. Cela s'applique évidemment à des pays comme l'Algérie, un régime pseudo-civil, et la Tunisie, une dictature aux deux millions de mouchards. Ces derniers jours, on assiste donc à une révolte contre les autorités. Révolte pour la liberté, mais aussi révolte contre la vie chère et l'absence de travail. On voit immédiatement les limites d'un régime fondé sur l'appropriation de la rente pétrolière par une mafia militaire (l'Algérie) et les impasses d'un Etat policier où la manne du tourisme est réservée à quelques-uns (la Tunisie). Comme le dit le dessin de Dilem ci-dessus, les populations du Maghreb ont faim de démocratie et faim tout court. C'est là qu'intervient Amartya Sen.
Dans son ouvrage Poverty and Famines (1981), l'économiste expliquait?(contre Malthus) qu'il fallait chercher la cause des famines dans l'absence de liberté plutôt que dans la croissance démographique. L'organisation sociale, en cas de baisse de la production, peut aggraver ou au contraire diminuer les problèmes de disette. Dans un système ouvert, où chacun a le droit de produire et d'échanger, on favorise le développement. Dans un système fermé, où des spéculateurs s'emparent des droits d'accès, le pire est presque sûr. Nous y sommes au Maghreb. Au passage, on voit battu en brèche la belle théorie du président Ben Ali, reprise parfois par ses amis parisiens. Non, il n'est pas vrai que l'on puisse durablement maintenir un Etat autoritaire et assurer une croissance économique. L'ironie veut que les émeutes actuelles surgissent au moment où les deux pays se targuent de réussites macroéconomiques, comme le souligne Le Quotidien d'Oran. Ces “succès” ne leur servent à rien car ils n'ont rien à offrir à la jeunesse, qui représente plus de 40 % de la population. Mais derrière ces deux cas se profilent sans doute des crises plus graves encore. Ces derniers mois, nous assistons en effet à une hausse des prix des matières premières, du pétrole, bien sûr, mais aussi du charbon, des métaux et du blé (+ 47 % en six mois). Heureusement, jusqu'à présent, le riz – qui nourrit trois milliards de nos contemporains – n'a pas vu ses prix grimper, mais pour combien de temps
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LE FIGARO
La stratégie du chaos des «desperados» fidèles à Ben Ali
Face à l'armée, la capacité de nuisance des membres de l'ex-garde présidentielle est réduite.
Après avoir fait preuve d'une grande prudence avant la chute du président Ben Ali, le ministère français des Affaires étrangères a dénoncé lundi «les bandes criminelles» et «ceux qui les soutiennent avec l'espoir vain de remettre en cause les changements intervenus de manière constitutionnelle» en Tunisie. Le Quai d'Orsay visait les partisans de l'ancien président, qui ont multiplié les pillages et tiré sur la foule, au cours du week-end. Le bilan officiel des affrontements est désormais d'au moins 78 morts, dont le photographe franco-allemand Lucas Mebrouk Dolega, atteint vendredi par une grenade lacrymogène tirée à bout portant et mort lundi après trois jours dans le coma. Lundi, les exactions des nostalgiques de l'ancien régime auraient été moins nombreuses. Combien sont ces desperados ? Représentent-ils une menace sur le délicat chemin dela recomposition politique de la Tunisie ?
Forte de 120.000 hommes, la nébuleuse sécuritaire à la solde de Ben Ali se composait de la garde présidentielle - dont le patron, le général Ali Sériati, a été arrêté dimanche - et d'une demi-douzaine de services de police et de renseignements, dont les redoutés Ninjas, qui terrorisaient les Tunisiens. Une partie du millier d'hommes de la garde présidentielle est aujourd'hui neutralisée, après avoir subi l'assaut de l'armée au palais présidentiel de Carthage, où ils s'étaient retranchés. Depuis, d'autres auraient retourné leur veste et coopéreraient avec les nouvelles autorités. Mais il en est encore d'autres qui sont cachés dans la nature. «Ils sont bien armés et bien entraînés et donc très dangereux», met en garde l'amiral Jacques Lanxade, ancien ambassadeur de France en Tunisie. «Ces desperados nourrissent l'idée folle que Ben Ali va revenir au pouvoir», ajoute-t-il.
Dans leur stratégie du chaos, les ultras peuvent compter sur les policiers et les agents du renseignement qui n'ont pas rallié le nouveau régime. «Ce sont eux qui pillent pour financer les sales besognes des ex-membres de la garde présidentielle», précise un ancien chef des services de renseignements français, qui souligne l'appui que pourraient leur apporter des ex-détenus de la prison de Monastir, libérés samedi dans les violences.
Mais s'ils peuvent faire exploser quelques voitures piégées à Tunis notamment, à moyen terme, leur capacité de nuisance est jugée plutôt faible. «Ils ne peuvent pas déstabiliser le pays, affirme l'amiral Lanxade, car l'armée accomplit un travail exceptionnel», n'hésitant pas à fournir un numéro d'appel à la population, au cas où celle-ci serait attaquée par des miliciens.
Même si le général Sériati a pu planifier les premières opérations de déstabilisation, avant de prendre la fuite en direction de la Libye, personne ne croit que les anciens «benalistes» aient préparé une quelconque résistance, comme les partisans de Saddam Hussein l'avaient fait, avant la chute de Bagdad en 2003. Rapidement, ils devraient rencontrer des problèmes pour s'approvisionner en munitions. Ironie du sort : l'ancien régime qu'ils soutenaient prohibait strictement les armes. D'autre part, même si la Libye peut leur offrir une terre de repli, il n'est pas du tout certain que le colonel Kadhafi s'aventure à leur fournir un appui logistique. Seuls quelques membres du clan sécuritaro-mafieux - autour de la belle-famille du raïs déchu, les Trabelsi - peuvent aider les tireurs fous, qui défendent leurs acquis, renchérit le chercheur Vincent Geisser.
Reste l'inconnue constituée par les deux millions de membres de l'ex-parti unique, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Leur opposition sera-t-elle politique ou guerrière ? «Ils tenaient le pays, mais ils n'ont pas d'autre choix que de jouer la carte de la discrétion», anticipe l'amiral Lanxade, relativement optimiste à moyen terme. Selon lui, la conjonction des mouvements d'autodéfense et des actions de l'armée, renforcée par les secteurs de la police qui ont rallié le nouveau régime, devraient, assez rapidement, ramener le calme.
La France entame une timide autocritique sur la Tunisie
Sévèrement critiqué pour avoir mollement et tardivement soutenu la Révolution du jasmin, le gouvernement a reconnu lundi avoir sous-estimé la colère des Tunisiens.
Un sentiment de révolte «sous-estimé». Alors qu'il y a encore quelques jours, l'exécutif se refusait à prendre partie pour le peuple tunisien, il change aujourd'hui son fusil d'épaule et entame son autocritique sur le soutien qu'il a apporté jusqu'à la dernière minute au régime de l'ancien président Ben Ali, notamment pour des raisons politiques et économiques.
La semaine dernière, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s'était attirée les foudres de l'opposition en parlant de «mouvements sociaux» et en proposant l'aide de la France aux forces de l'ordre qui les réprimaient. Une position qui avait notamment incité le socialiste Pierre Moscovici et l'écologiste Cécile Duflot à réclamer sa démission.
Lundi soir, la ministre est revenue sur ces déclarations, arguant avoir été mal comprise. «Je comprends que mes propos ont été déformés, ce n'était certainement pas mon état d'esprit», a-t-elle expliqué sur France 2. «J'ai dit que nous étions prêts à offrir ce savoir-faire, en quelque sorte, de gestion sans usage disproportionné de la force, pour que l'on puisse à la fois avoir des manifestations et peut-être mieux les contrôler».
«Analyse tronquée de la situation»
Alain Juppé a quant à lui reconnu que la France n'avait pas vu venir la colère des Tunisiens, en raison, a-t-il justifié, d'une sorte d'aveuglement. «Dans le passé, la plupart des pays européens, nos alliés américains, portaient sur la Tunisie un regard favorable, parce que c'était un pays stable politiquement, qui se développait économiquement», a déclaré le ministre de la Défense à l'occasion de ses voeux présentés à la presse.
En Tunisie, «des réformes sociales étaient faites, le traitement de la femme en particulier, une classe moyenne apparaissait, des efforts très importants ont été faits pour développer l'éducation», ce qui a conduit à cette analyse tronquée de la situation. «Ceci nous a conduit à sous-estimer l'exaspération du peuple tunisien face à un régime policier et à une répression sévère», a ainsi reconnu le numéro deux du gouvernement.
La France n'a pas à être «le gendarme de la Méditerranée»
Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a de son côté reconnu, sur RTL, qu'il y a «pu avoir des maladresses ou des incompréhensions». Mais il justifié a posteriori la position française par le fait que la France ne pouvait ni intervenir de manière trop visible, ni imaginer l'ampleur de la répression.
«La question est de savoir ce que la France devait faire. Imaginez que la France intervienne dans les affaires intérieures d'un ancien protectorat. Qu'aurait-on dit ?», s'est-il interrogé. «Personne, ni dans l'opposition, ni dans la majorité, ni chez les experts, ni dans les services spécialisés, même pas les Tunisiens, ne pouvait prévoir que les choses iraient si vite, si loin et qu'elle seraient aussi rapidement dramatiques». «Ça n'est pas à la France d'être le gendarme de la Méditerranée», a-t-il souligné.
Le ministre de l'Industrie, Eric Besson, qui a récemment épousé une Tunisienne, a pour sa part ironisé sur la position en flèche des Etats-Unis, qui n'ont selon lui pas à se préoccuper de la sécurité de leurs ressortissants, alors que les Français sont 22.000 en Tunisie. «C'est presque facile pour le président Obama de dire ‘bravo et good luck' mais il est loin, il y a moins d'Américains en Tunisie et de Tunisiens aux Etats-Unis. Nous, nous sommes tenus à une certaine prudence», a-t-il expliqué sur France 2.
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Le point.fr
La grande angoisse des entreprises françaises
"On est sur les dents avec notre filiale tunisienne. Tout est arrêté. Les salariés sont restés chez eux." Nicole Hoffmeyster, la directrice générale de Classe export, une société facilitateur d'affaires pour les entreprises à l'international, ne cache pas son inquiétude après le changement de pouvoir en Tunisie.
La révolution a fait souffler un vent de liberté dans le pays, mais ouvre également une période d'incertitude économique pour les 1.250 entreprises françaises qui y sont implantées. PME pour la plupart, celles ci emploient 110.000 personnes - 80 % de leur activité sont dans l'industrie -, selon le site internet de la chambre de commerce et d'industrie franco-tunisienne. "Beaucoup exercent dans le textile mais aussi de plus en plus dans l'industrie électrique et mécanique", détaille Habib Gaïda, le directeur général de la chambre franco-tunisienne de commerce et d'industrie. Depuis vendredi, leur activité est à l'arrêt. "Les milices de l'ancien gouvernement sont toujours là", rappelle Nicole Hoffmeyster. Le climat est donc à la peur et beaucoup d'entreprises ont d'ailleurs rapatrié leurs cadres ou attendent avant de les envoyer dans le pays, assure-t-elle. C'est ce dont témoigne le groupe de transport ferroviaire Alstom, qui a "suspendu tout déplacement de collaborateurs vers ce pays". Mais la chambre d'industrie et de commerce installée à Tunis se veut optimiste : "les Tunisiens veulent reprendre le travail, ils nettoient les rues (...) Le patronat, l'union des agriculteurs ont appelé à la reprise de l'activité".
En attendant, les entrepreneurs hexagonaux doivent aussi gérer l'incertitude sur le maintien de leurs interlocuteurs habituels au sein du pouvoir tunisien et à la tête des nombreuses entreprises contrôlées par la famille élargie de Ben Ali. "On travaillait avec des hommes clés, on ne sait pas si ces gens-là vont rester en place", explique Nicole Hoffmeyster, alors que la composition du gouvernement devait être annoncée lundi.
Selon Habib Gaïda, certaines affaires conclues par Ben Ali et son gouvernement vont être réexaminées par une "commission nationale de vérification des contrats", après les accusations de népotisme portées à l'encontre du président déchu et de sa famille. Alstom, qui a enregistré récemment une demande de 16 rames du futur tramway de la capitale, Tunis, se veut toutefois rassurant. "À ce stade, nos contrats et notre présence demeurent effectifs", explique le groupe. Et d'ajouter : "Pour l'instant nous ne sommes pas inquiets." C'est aussi le discours tenu par Airbus. Tunis Air lui a acheté 33 appareils, dont 18 ont déjà été livrés. Restent à fournir 15 avions, dont 9 A320 moyen-courrier et 6 A330 long-courrier. "À ce jour, le contrat de commandes de Tunis Air - qui ambitionne de créer une activité long-courrier avec notamment la desserte du Canada, où sont établis de nombreux Tunisiens - n'a pas été remis en cause", selon un porte-parole.
Au-delà de ces contrats très médiatiques, c'est toute la politique économique mise en place par le président déchu qui pourrait être revue. Nicole Hoffmeyster espère que le programme Think Tunisia, qui incite les entreprises étrangères à s'implanter dans les régions délaissées par le développement économique grâce à des pôles de compétitivité dotés de subventions, pourra continuer. Déjà, des salons organisés par la chambre d'industrie et de commerce prévus en février pour le secteur de la santé et en mars pour l'industrie électrique devront sûrement être annulés. C'est autant d'entreprises françaises qui retarderont leur implantation ou leur développement dans un pays dont la croissance atteint encore 4 % malgré la crise.


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