Nous ne sommes ni en Tunisie, ni en Algérie, ni au Maroc. Nous sommes dans ces trois pays à la fois, quelque part dans une contrée du Maghreb. Rupture du jeûne imminente. Un piéton presse le pas. Une jolie demoiselle à bicyclette pédale joyeusement. Un jeune homme fonce sur sa Vespa. Un porteur conduit son triporteur. Un vieillard enfourche son bourricot. A pied, à vélo, à moto, en triporteur ou à dos d'âne, ils portent tous leur bouteille de Coca-Cola. Fondu enchaîné, les voilà tous maintenant autour de leurs tables respectives, en train de manger, et, surtout, surtout, en train de boire successivement, avec plaisir et volupté leurs verres de Coca-Cola. Vous l'avez deviné : c'est l'inévitable pub Coca-Cola, spécial Ramadan, qui passe en ce moment sur les chaînes tunisiennes de télévision sous le signe : une seule table pour réunir tous les Tunisiens. Cette publicité, produite pour le mois de Ramadan à l'aimable attention des trois pays maghrébins, est l'application la plus disciplinée des règles les plus élémentaires de la publicité, à savoir un défilé des différentes cibles de la marque, un filmage du produit dans l'emballage, puis une dégustation dans la joie et la sérénité. Le minimum syndical. Une pub somme toute banale, sans émotion, bien qu'elle soit techniquement très bien exécutée et qui, mine de rien, a toujours figuré dans le top ten des campagnes les plus mémorisées en ce mois saint. Mission accomplie. Quel est le problème alors‑? Tout bêtement, nous sommes au lendemain d'une révolution qui a eu lieu en Tunisie. Et si cette publicité avait parlé de cette Révolution, elle aurait été autrement plus fraîche. Il est vrai que ce spot, destiné aux Maghrébins et pas seulement aux Tunisiens, ne pouvait évoquer la révolution. Il l'a étouffée et l'a passée sous silence, car le Maroc et l'Algérie, qui passent aussi ce spot, n'ont pas la leur. Or, ne pas en parler en Tunisie, pour Coca-Cola, est un ratage. C'est comme un spot qui passe sur les chaînes d'un pays organisateur de la Coupe du monde, mais qui ne parle pas de foot. Coller à l'actualité, c'est ce qu'on a toujours attendu de Coca-Cola. De la Perestroïka à la Glasnost, en passant par la chute du mur de Berlin, Coca-Cola a toujours été dans l'actualité. D'ailleurs, il y a quelques mois, Coca-Cola a conçu un spot publicitaire dédié à la révolution égyptienne. Coca-Cola est leader de la boisson en Tunisie. Coca-Cola a les moyens. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait en Tunisie ? Et le partenaire tunisien qui gère Coca-Cola, pourquoi n'a-t-il pas cherché les budgets et les moyens humains de Coca-Cola pour que notre pub explose ? La révolution n'est pas que sit-in et mouvements de foule, c'est dans les têtes que ça se passe. Et la publicité, comme tout ce qu'on voit à la télé et toutes les formes d'expression, doit s'éclater, faire peau neuve et respirer la nouveauté. La publicité, ne l'oublions pas, est une culture et cette culture doit refléter notre image réelle. Elle doit être fraîche.