Par Mohamed Ali TRABELSI * La notation est apparue en 1909 lorsque Moody's devient la première société à attribuer des notes aux entreprises américaines : de triple A pour les firmes considérées comme les plus solvables à F pour celles en défaut de paiement. Depuis cette date, la notation fait partie intégrante des préceptes du système financier mondial. On compte maintenant dans le monde plus que 150 agences de notation mais rares sont celles qui ont une vocation mondiale. Les trois principales agences détiennent environ 90% du chiffre d'affaires de la profession, à savoir Moody's, Standards & Poor's et Fitch Ratings. La principale activité de ces agences est l'évaluation de la capacité des émetteurs de dette à faire face à leurs engagements financiers vis-à-vis de leurs créanciers. Contrairement à ce que signifie réellement le terme agence, il s'agit bien d'entreprises ou d'organismes privés à but lucratif et non pas d'organismes gouvernementaux. La notation représente une évaluation du risque de crédit et ne reflète pas les informations relatives à la rentabilité potentielle d'un investissement ou à la liquidité d'un titre. Cet aspect s'est fait sentir lors de la dernière crise financière. En effet, plusieurs investisseurs se sont trouvés dans l'incapacité de liquider leurs positions sur des titres ayant même la notation triple A. Critiques du système de notation Les agences sont souvent accusées de ne pas détecter les risques d'insolvabilité qui menaçaient certains acteurs économiques. Il leur est principalement reproché de ne pas avoir donné suffisamment tôt les signaux d'alerte dans le cas des titres subprime qu'elles ont notés. En effet, avant le début de la crise en 2007, les crédits structurés bénéficiaient de notations très favorables. Ce scénario s'est réitéré aussi lors de la faillite de «géants» américains. A la veille de leur effondrement, les banques Bear Sterns et Lehman Brothers, ainsi que l'assureur AIG jouissaient de notes élevées, les qualifiant ainsi de débiteurs à faible risque. D'autre part, nous ne pouvons pas nier le conflit d'intérêts entre les agences de notation et les entreprises ou banques qui les payent pour les noter. Ce qui met en cause la crédibilité des notations qu'elles produisent. Ce phénomène provoque un problème d'indépendance de l'agence dans le processus de notation et les met au centre de conflits d'intérêts. Or le principe de confiance du marché repose sur l'idée qu'une agence de notation ne doit pas perdre sa réputation. C'est la raison pour laquelle les défenseurs des agences s'appuient sur le fait que ces dernières n'ont pas intérêt à prendre le risque de sur-noter un de leurs clients par peur de perdre leur crédibilité et donc l'ensemble de leurs affaires. Les agences de notation et la crise financière Depuis 2007, les agences de notation sont mises en cause et accusées d'être responsables de la crise que traverse le monde et qui a entraîné une chute des marchés financiers et un effondrement de certaines valeurs boursières. En effet, elles sont soupçonnées de noter des titres qui se sont avérés pourris. Par la suite, elles ont réagi en abaissant brutalement la notation de plusieurs émissions lorsque les conditions du marché immobilier ont commencé à se dégrader aux Etats-Unis, contribuant ainsi à l'effondrement du marché. La meilleure notation financière est le triple A. Autrement dit ceux qui prêtent de l'argent aux pays bénéficiaires de cette note n'ont aucun risque. Contrairement aux pays qui obtiennent des notations moindres. En effet, les conséquences immédiates d'une baisse de notation se traduisent par une augmentation du taux d'intérêt auquel un Etat emprunte, ce qui aura pour conséquence une augmentation de la charge de la dette. Si on prend le cas des Etats-Unis, une hausse de 1% des taux d'intérêt représenterait un coût supplémentaire de 140 milliards de dollars. D'autre part, la confiance des créanciers internationaux sera ébranlée par une évolution de ce type et rendra le financement de la dette plus difficile. Toutefois, cela reste très théorique. On peut citer le cas du Japon qui a été dégradé deux fois, en passant de triple A à deux A et dont la dette a atteint 200% du PIB; pourtant il emprunte aujourd'hui à très bas coût. Toutefois, la perte du triple A par les Etats-Unis, selon JP Morgan, pourrait engendrer une hausse du taux d'intérêt d'emprunt du pays qui aura pour conséquence un coût supplémentaire de la charge de la dette de 100 milliards de dollars. Ce qui est certain, c'est que le financement des Etats-Unis sur les marchés ne posera pas de problème, même si cela doit se faire à un coût plus élevé. En effet, les bons du Trésor américain représentent l'investissement le plus répandu dans le monde. Notons aussi que la récupération de la note triple A n'est pas une chose difficile. Nous pouvons citer le cas du Canada, qui avait perdu son triple A en 1992, mais l'a récupéré en 2002 grâce à une limitation importante des dépenses fédérales. De même pour d'autres pays comme le Danemark, la Finlande et la Suède qui ont perdu leur triple A dans les années 90 et l'ont regagné en 2000 grâce à une discipline budgétaire rigoureuse. Quelles solutions ? Afin de combattre les conflits d'intérêts résultant des notations d'agences, de préserver la qualité de la méthode de notation et de garantir la transparence des agences, la Commission européenne envisage d'instaurer de nouvelles règles qui pourront rétablir la confiance des marchés et de mieux protéger les investisseurs. L'idée consiste à introduire un nouveau mécanisme qui permet aux autorités de surveillance européennes de contrôler mieux les activités des agences de notation, et ce, par le respect des règles suivantes : • Interdire les agences de notation de fournir des services de conseil; • La notation financière doit être tributaire d'une parfaite connaissance d'informations; • Toutes les méthodes utilisées dans la notation devront être rendues publiques; • Les agences devront procéder à un système de contrôle interne qui garantit la qualité de leurs notations; • La composition du conseil d'administration ou de surveillance doit comporter des membres dont la rémunération est indépendante des performances économiques de l'agence. * (Maître de conférences à l'Ecole supérieure de commerce de Tunis)