• Le Palais Kheireddine abrite une grande exposition de peintures, de céramique et d'œuvres calligraphiques artistiques : il s'agit du photographe Néjib Chouk, et des plasticiens Brahim Azzabi et Abdelméjid Békri, en plus d'un hommage posthume à feu Faouzi Chtioui présent avec quatre de ses œuvres. Un groupe de céramistes du Centre national de la céramique d'art de Sidi Kacem Jélizi anime l'exposition avec des panneaux et des pièces de céramique qui offrent une image de l'évolution de cet art en Tunisie. Au 1er étage et à côté des œuvres de Békri, un groupe de calligraphes artistiques rarement réunis s'harmonisent avec la démarche de Békri, préoccupé par le patrimoine arabo-musulman. Une exposition variée, des démarches distinctes, et un espace adéquat pour savourer et méditer sur les arts plastiques en Tunisie. En face des photos de Néjib Chouk, on s'aperçoit que la Tunisie, avec ses sites archéologiques, ses grottes souterraines, son monde marin, ses paysages sahariens, son architecture, sa faune et sa flore et sa population, constitue un champ d'une richesse intarissable pour les photographes, les plasticiens et cinéastes... Néjib Chouk, né en 1953, consacre sa vie à explorer cette Tunisie, toute petite sur la carte géographique, mais combien grande par son histoire et sa culture, il faut avoir le flair d'un chercheur, d'un vrai artiste pour s'aventurer à explorer le désert, les grottes souterraines, l'immensité de Chott El Djérid ou les moments forts de la révolution tunisienne pour réussir des images chargées d'autant de vérité plastique. Néjib Chouk a aussi le don du dessin, et a été caricaturiste de talent dans les années 70/80 dans plusieurs journaux de la place. Les œuvres exposées au Palais Kheireddine constituent un résumé de l'aventure de Chouk durant cette dernière décennie. Il a fait une sélection de chaque thème entrepris ces dernières années en aboutissant au thème de la révolution tunisienne qu'il a vécue avec sa caméra dans ses moments forts, des photos prises deux heures avant la fuite de Ben Ali, chargées d'une force expressive, le moment considéré symbole du régime déchu vu en plongée, semble s'écrouler et basculer pour annoncer la chute du pouvoir dictatorial. Une foule immense au premier plan devant le ministère de l'Intérieur, un moment historique mémorisé et saisi avec un regard artistique, une œuvre qui se prête à plusieurs lectures. Tout le monde a pu saisir des moments de la révolution, mais une minorité de photos enveloppe le sens dramatique et historique de cet événement mêlé à une note esthétique. Revenons à l'ensemble de photos traitant le thème du monde souterrain à Djebel Essarj, à Weslatia, au gouvernorat de Kairouan : la grotte principale qui s'étend sur une surface égale à un stade de football pullule de stalactites et de stalagmites, ce qui dégage un monde fascinant, ces formes imprévues constituées par les goutelettes d'eau d'une portée plastique étonnante, avec, bien sûr, l'intervention de l'artiste qui, par la lumière qu'il projette dans cet espace obscur, situé à 300 m sous terre, donne une vie à ce monde surréaliste. Néjib Chouk en s'associant avec une équipe de spéléologues a eu le privilège, non seulement d'explorer ce monde éblouissant, mais aussi de toucher à l'absolu de la matière et plonger dans les royaumes souterrains et parcourir les entrailles de la terre. Chott El Jérid, une immensité désertique où le sel est roi, un monde à part comme le souligne Néjib Chouk, où le temps semble s'arrêter avec cette rencontre entre ciel et terre : «L'eau, source de vie et d'exubérances, est ici meurtrière. Aucun signe de vie apparent; la vie, ajoute Chouk, semble y avoir pris un temps d'arrêt». Là encore, notre artiste a réalisé des œuvres qui ont emballé les plasticiens en particulier, comme cette photo semblable à une soucoupe volante qui n'est en réalité qu'un amas de sel, et son reflet dans l'eau… la prise de vue a dégagé ce fragment pour créer l'illusion, l'artiste a aussi joué avec les masses claires et obscures sur les plaques de cristaux de sel s'étalant sur la surface du lac. Enfin, le Sahara tunisien, à la porte du grand Sahara au seuil d'un univers sans frontières, est un thème inépuisable pour Néjib Chouk. On pense en voyant cet ensemble d'œuvres que le désert n'est point désert, c'est une immensité qui vibre de vie, le sable est en éternel mouvement, bâtissant des formes d'une pureté sublime qui se métamorphose par le vent, c'est au photographe de saisir les moments propices pour capter ces phénomènes de la nature et que les spectateurs interprètent à leur manière. En accrochant la lumière, le sable crée des tableaux étonnants, les imprévus et les surprises sont nombreux, un bon nombre représente, volontairement ou pas, des corps humains dans diverses postures. Sur le thème de la flore, Néjib Chouk a réalisé plusieurs photos prises en gros plan sur des troncs d'olivier, un riche graphisme et une matière vibrante se dégage de ces photos, dont certaines nous réfèrent à des formes humaines. Le Centre national de céramique d'art est une institution qui préserve les traditions de la pratique artistique de cet art en initiant un grand nombre d'amateurs et de professionnels aux diverses techniques en initiant des spécialistes de Tunisie, d'Espagne, du Japon en particulier, des pays ayant des traditions et des techniques millénaires dans ce domaine. La céramique est un métier qui exige beaucoup de patience, les plus fidèles à ce métier évoluent à travers les ans, on a suivi le cheminement de plusieurs jeunes qui ont fait de grands progrès pour devenir maîtres, tels Mohamed Hchicha qui a formé plusieurs jeunes, qui, non seulement maîtrisent le métier, mais vont plus loin dans les chemins de la création pour créer leur monde personnel, le plus prometteur parmi ces jeunes est Malek Gnaoui avec ses formes sobres, réalisant des sortes de murs sur lesquels il façonne des signes et des écritures. Quant à Houda Ghorbel, peintre/céramiste confirmée depuis plusieurs années, difficile à classer par ses pièces explorant le corps humain, elle aboutit à des formes humaines déformées, plus proches de la sculpture. Exposent également : Sarra Ben Attia, Aroua Ben Smaïl, Imène Chatouène, Claudine Rabaâ. Cette exposition nous fait découvrir un art qui continue à exister : la calligraphie, malgré les difficultés qu'il rencontre. En effet, cet art a été banalisé cette dernière décennie au sein des Instituts d'art, dont plusieurs n'enseignent plus la calligraphie arabe, ce qui est contradictoire avec les objectifs visés par les programmes destinés aux enseignement du design et des arts graphiques. Nous sommes certes ouverts sur l'Occident, mais nous pensons que la calligraphie arabe symbole de notre authenticité doit être présente dans nos œuvres graphiques et nos affiches. Les œuvres présentées dans cette exposition nous font découvrir la richesse de la portée esthétique de cet art qui inspire sans cesse les plasticiens. Tarak Abid est passé maître dans sa conception de l'espace qu'il anime avec le style diwani dans ses diverses variations, précisément «Adiwani al jaliy». Tarek Souissi explore avec beaucoup d'application «le koufi al kaïrawani» qu'on peut considérer comme le style le plus compatible pour la création d'œuvres à caractère calligraphique artistique. Exposent également Amor Jomni, Noureddine Ouni, Mohamed Yassine M'tir, Abdelkader Ghoul, Samir Ben Gouiaâ, Abdelwahab Charni, Mokhtar Ali et Brahim Miled. Abdelméjid Bekri, qui expose plus d'une quarantaine d'œuvres s'échelonnant entre 1964 et 2011, sera l'objet de notre prochain papier.