Par Khaled TEBOURBI Sur les questions qui hantent l'actualité des révolution arabes, les avis, les opinions, les analyses, les thèses et les hypothèses divergent en continu. C'est un torrent d'écrits contradictoires, de déclarations opposées, de prédictions de toutes sortes, dont on a mal à s'extraire sans confusion et sans gêne. Quelques-unes de ces questions sont compliquées à dessein, alors qu'elles tombent sous le sens. Evidences criardes, que l'on s'évertue à brouiller, sinon à contourner et à occulter. On veut quoi au juste ? A propos de la Libye, par exemple, après que tout le monde ait approuvé et salué la rébellion, les positions se sont, petit à petit, relâchées. On a, d'abord, émis des doutes sur la direction du conseil transitoire, suspectée de «connivence» avec la «Qaida» du Maghreb. On a, ensuite, exprimé des réserves sur les capacités militaires des rebelles. «Jeunes étudiants sans expérience», a-t-on pu dire, dont on ne pouvait «escompter» quoi que ce soit de «sérieux» ou de «définitif». On a, enfin, focalisé sur l'intervention de l'Otan, qualifiée «d'opportuniste», «d'impérialiste», puis, franchement, de «nouvel Iraq». Des voix se sont élevées par ailleurs, parmi les intellectuels de gauche, les leaders de partis et d'organisations civiles, jusque dans certains médias, pour dénoncer «la croisade impie sur la Jamahiria» et, par ricochets, «le compromis» douteux de la révolution libyenne. Un moment il y eût comme une inversion dans l'air : de bourreau, Kadhafi se muait en victime héroïque, et de combattants pour la liberté, les rebelles «retrogradaient» en «traîtres». Même la chute de Tripoli et la fuite de Kadhafi n'auront pas tout à fait convaincu. On s'est mis à agiter les spectres du «chaos», de «l'anarchie tribale», de «la partition du pays». Et quand on n'a pas invoqué ces «menaces», on s'est contenté, comme certains chefs d'Etats africains (redevables au «Roi des Rois»), de «surseoir à la reconnaissance du conseil jusqu'à la fin complète des hostilités». Scepticisme, esquives, louvoiements, contournements, «exegèses» géo-politiques peut-être, admettons, mais on a envie de poser une question à tous ces «réfractaires» : que voulez-vous au juste? Que Kadhafi reste au pouvoir? Qu'il parachève le génocide qu'il avait commencé? Et puis, à supposer que l'intervention de l'Otan ait réellement des visées sur la nouvelle Libye, cela ne vaut-il pas mieux que de laisser sévir un psychopate, un despote sanguinaire prêt à décimer son peuple pour préserver son «trône»? Une évidence saute aux yeux depuis le début de la révolution libyenne: la Libye et les Libyens ne se porteront pas plus mal sans Kadhafi. Dès lors, les projections anticipées, les allusions insistantes sur l'impérialisme occidental et le droit d'ingérence n'avaient ni n'ont aucune raison d'être. Ou alors c'est que l'on a «cherché noise», de prime d'abord, à la rébellion, et que, d'une façon ou d'une autre, on a voulu prêter renfort à la tyrannie. Par-delà les cadavres D'autres exemples? On songe au cas de la révolution syrienne. A priori il fait l'unanimité. La tuerie s'affiche à la face du monde. Et les horreurs perpétrées par l'armée de Bachar El Assad sont si flagrantes que l'on est porté à croire qu'elles ne récoltent qu'anathèmes et condamnations. Erreur là aussi. La Russie et la Chine bloquent le conseil de sécurité. L'Iran et le Hezbollah veillent au grain. «Realpolitik» oblige. Reste que l'on entend, ici encore, des voix discordantes. Pas seulement d'intellectuels à la solde du régime mais de penseurs et chroniqueurs réputés indépendants. Ces derniers considèrent le problème sous un autre «angle», par-delà les cadavres et le sang. Ils préviennent contre les risques d'une «conflagration régionale», d'une «guerre confessionnelle», d'un «recul de la cause mère». Et tout cela est dit sur un ton grave. Comme pour suggérer à qui ne l'aurait pas compris encore que la présence de Bachar El Assad au pouvoir est plus profitable à la Syrie que la vie de tous les Syriens.