Par Soufiane BEN FARHAT Les jours se succèdent et se dissemblent. C'est on ne peut plus évident en temps de révolution, dira-t-on. Non sans raison, parce que, sous certains aspects, la révolution, c'est le grand chamboulement. Ce qui n'exclut guère quelque confusion, il est vrai. Aux dernières nouvelles, le Conseil supérieur de la magistrature a différé pour le 21 mai sa décision concernant la demande de levée de l'immunité de M. Farhat Rajhi. Entre-temps, le magistrat et ex-ministre de l'Intérieur a affirmé, dans une missive, que ses récentes déclarations "ne sont que des suppositions et des conclusions personnelles". Il a même assuré qu'il a été victime d'une "manœuvre visant la stabilité de la Tunisie et à porter atteinte à l'Armée nationale". Il a présenté ses excuses à l'Armée nationale et ses hauts officiers pour "le préjudice que les manoeuvres et interprétations tendancieuses leur ont causé". Probablement, une négociation serait en cours en vue d'une sortie honorable. Les propos de M. Rajhi ont en effet été à l'origine d'un pourrissement de la situation politique et sécuritaire dans la capitale et diverses régions du pays. Diverses institutions — et pas des moindres, s'agissant en l'occurrence de l'armée et de la magistrature — se sont brouillées à l'occasion. Les appréciations des déclarations de M. Frahat Rajhi divergent. A coups de communiqués et déclarations solennelles, les uns inculpent volontiers là où d'autres disculpent à loisir. Les arguments contradictoires emplissent les tribunes, alimentent la controverse et envahissent la Toile. Dans la cacophonie, les légitimations des uns et des autres sont aux abois. Il s'est peut-être trouvé quelqu'un pour appeler à l'apaisement. En sourdine visiblement. Et c'est tant mieux. On ne le répétera jamais assez : les armées battues sont bien instruites. Et il est bien des situations où tous les protagonistes se retrouvent vaincus. Tous sans exclusive. Encore faut-il ne pas tourner le dos aux conclusions qui s'imposent. L'épisode Rajhi a démontré, par l'absurde, que nos élites, du moins celles qui tiennent jusqu'à nouvel ordre le haut du pavé, souffrent de déficits flagrants en matière de communication. Qu'il s'agisse d'"électrons libres" ou de personnalités ayant de profondes attaches dans l'establishment, le diagnostic est le même : vous communiquez mal messieurs ! En vérité, cela s'explique par la perte brutale des repères. On a le plus souvent affaire à des gens aux esprits formatés. Tout se réduit chez eux au strict respect de la discipline et au mutisme intégral en guise de la sacro-sainte obligation de réserve. Ils se retrouvent du jour au lendemain dans l'agora. Sous les feux de la rampe et avec des velléités tribunitiennes par surcroît. Certains d'entre eux ne se contentent plus d'aimer la politique-spectacle, ce nouveau joujou de notre classe politique, ou ce qu'il en reste. Ils l'adorent. A leurs risques et périls parfois. D'où les dérapages, ainsi que le télescopage des argumentaires des uns et des autres. Après des sorties malheureuses et une tentative de rafistolage non moins désastreuse, le gouvernement semble décidé à redresser la barre. Il a étoffé avant-hier son service de communication et l'a fait savoir. Auparavant, il s'est arrangé pour que son principal conseil en Com — M. Moëz Sinaoui — se fasse particulièrement discret. Ses précédentes sorties, stéréotypées et débitées maladroitement et sans conviction, avaient nourri les quiproquos et malentendus plutôt que d'apaiser les esprits et tempérer les ardeurs. Il avait notamment parlé de "haute trahison" concernant les propos de M. Rajhi. Ce qui en avait rajouté aux ingrédients du drame. Aujourd'hui, les ardeurs des uns et des autres semblent plus mesurées. Moyennant un lourd tribut préalable et un coût politique et sécuritaire élevé. Il y a bien eu des victimes, principalement du côté des citoyens. Les journalistes, la magistrature et la liberté de la presse figurent, quant à eux, sous la rubrique des "victimes collatérales". Par moments, le mal est fait et il sera très dur d'en éradiquer les séquelles. Il ne faut pour autant pas dormir sur ses lauriers. L'éthique et le gentleman agreement veulent que l'on tire les conclusions qu'il faut. Autrement l'épisode Rajhi ne serait qu'une anticipation de ce qui pourrait bien, sous peu, devenir un fléau. Aux issues bien évidemment catastrophiques. A bon entendeur…