Les perspectives changent. On ne voit pas le monde de la même façon selon que l'on est au fond de la vallée ou en haut de la colline... A l'approche de l'échéance électorale, et alors que l'Assemblée constituante devient presque une réalité dans les esprits, l'autorité des Instances mises en place au lendemain de la révolution pour assurer la "transition" se fait plus timide : chacun les regarde de haut, pour ainsi dire... On se souvient que, lors de leur mise en place, et c'est surtout vrai de celle de la protection de la révolution, elles avaient à s'affirmer contre les clameurs de la rue, qui prétendaient porter la légitimité révolutionnaire. On se souvient aussi que ces clameurs ont fini par s'essouffler, à n'être plus qu'une nuisance dans le paysage sonore de la ville car, quoi qu'elle dise, la rue n'est pas le peuple : elle n'en est qu'une partie infime, qu'une grimace souvent et, surtout, elle n'est pas exempte du risque de tomber dans l'usurpation de la voix du peuple quand elle prétend parler en son nom. Ainsi, les Instances ont-elles gagné la bataille et se sont-elles imposées au pays, recueillant autour d'elles le consensus, fragile mais réel, des différentes tendances politiques. Elles bénéficiaient alors de la légitimité révolutionnaire et, fortes de cette assise, ont dégagé des voies vers l'étape future... Parmi lesquelles celle qui consiste à organiser l'élection d'une Assemblée constituante en vue d'une refonte complète de notre Constitution. Aujourd'hui, des craintes s'expriment ici ou là qui, par anticipation, voient dans l'Assemblée constituante une possibilité d'accaparement du pouvoir par des formations en position majoritaire. Et, avant même que le peuple n'ait pu dire son mot, et que rien de réel ne se soit produit qui justifie une quelconque alarme, on voudrait fixer des cadres, tracer des limites, mettre des bornes en vue de prévenir le mal. A quoi certains répondent, non sans pertinence, que toutes ces mesures n'auront guère de poids face à l'autorité d'une Assemblée qui aura pour elle le suffrage de tout le peuple : le vrai suffrage pour la première fois ! Et, de fait, il y a pour les Instances et leur mode de représentation de la volonté populaire, le même risque d'érosion de leur autorité que celui qu'a subi la rue lorsqu'elle a voulu contester la légitimité de ces mêmes instances... A chaque étape ses références, ses pôles d'autorité ! Mais il ne faut pourtant pas oublier une chose : les instances en question n'ont jamais été tout à fait sourdes aux clameurs de la rue. Surtout si ces clameurs portaient l'écho du souffle révolutionnaire et de ses exigences. Elles savaient pertinemment que si elles trahissaient les idéaux de la révolution, elles redonnaient automatiquement une plus grande force à la rue et à ses contestations. C'est pareil avec l'Assemblée constituante : si, d'aventure, elle s'avisait de tromper les attentes de liberté, les structures moins légitimes sur le plan institutionnel s'érigeraient contre elle et leur voix gagnerait en puissance en s'appuyant sur le même souffle révolutionnaire qui fut à l'origine de tout.