Par M'hamed JaIbi La problématique du financement des partis fait couler, ces jours-ci, beaucoup d'encre et de salive. Mais le débat à son sujet s'est transformé en un dialogue de sourds entre les partis qui ont trouvé de l'argent et ceux qui n'en ont pas assez. Or, dans ces conditions, il est impossible d'imaginer une solution institutionnelle à cette question essentielle qui a donné lieu dans plusieurs pays démocratiques à d'épouvantables scandales qui ont sali la classe politique et décrédibilisé ses acteurs. Aux portes d'une nouvelle construction de son système, où les partis constitueront le socle d'un pluralisme porteur de démocratie et de justice, la Tunisie se doit de songer à donner à toutes ses formations politiques la latitude de résoudre à leur manière la question du financement de leurs activités. Les expériences de par le monde sont multiples et diverses. Aucune n'a pu résoudre convenablement ce problème. Entre un financement contrôlé de bout en bout par les puissances du grand capital, comme aux USA, et un système austère et hypocrite où les dépassements sont la règle, comme en France, mille et un dispositifs ont été imaginés de par le monde. Ce que la Tunisie doit absolument éviter, c'est ce que nous voyons se développer comme conservatisme et comme interdits de la part de nos instances de réforme politique. Car toutes les limites imposées aux opportunités de ressources en faveur des partis constituent en définitive des freins au développement du pluripartisme en tant qu'institution essentielle dans le dispositif de la République démocratique. Au nombre de ces interdits, on compte aujourd'hui la contribution libre et sans limites des citoyens, et ce que l'on a désigné sous le nom de «publicité politique». Or, peut-on imaginer voir se développer la conscience politique des citoyens et l'enracinement des partis sans propagande. Car il est clair que c'est en fait la propagande que l'on a interdit, lorsque l'on précise à propos de la «publicité politique», qu'elle soit «payante ou non payante». Sans compter que l'on ne pourra jamais interdire la publicité camouflée ni le choix de tel ou tel média, de donner la parole à un parti et pas à un autre. Que dire du mailing, des tracts de rue, de la pub au lycée, dans les facs, du porte à porte, dans les mosquées ou sur le lieu du travail. Il est bien évident pour tous les Tunisiens qui tiennent à voir se développer la démocratie et le pluralisme qu'interdire la propagande politique correspondrait en définitive à interdire la diversité, le pluralisme et les partis, à tuer la démocratie dans l'œuf. Quand bien même l'idée de départ était de barrer généreusement la route à la mainmise du grand capital sur les consciences, au profit d'une hypothétique égalité d'écoute entre tous les partis quels que soient leurs moyens financiers. En lieu et place des interdits et des restrictions, ne vaudrait-il pas mieux instituer une réelle transparence semblable à celle du système allemand ? Car il serait utopique de prétendre limiter, en les contenant artificiellement, les capacités réelles que peut mettre en œuvre un parti politique bien implanté au sein de la société. C'est en fait sur cette aptitude de développement autonome, sur la base de la sympathie et de la confiance de ses adeptes, qu'un parti pourra jouer convenablement son rôle dans le dispositif institutionnel de la Tunisie pluraliste. Dans la France capitaliste gaullienne, le parti communiste avait réussi à constituer une force de frappe en matière de propagande, de publicité et de communication, que les partis de droite n'étaient jamais parvenus à contenir, encore moins à surpasser, malgré tout l'argent qu'ils mettaient en œuvre. C'est dans l'implantation des partis politiques, dans leur rayonnement et le soutien matériel et moral que leur apportent leurs adeptes, que réside le salut d'un régime politique pluraliste émancipé. Et non dans le tarissement des sources de financement de la politisation pluri-polaire qui est garante du pluralisme démocratique républicain. Reste le recours légitime à une certaine transparence financière qui serait soumise à la surveillance des médias et de l'opinion publique pour devenir un critère important de promotion de l'image de chaque parti politique dans la société et auprès de ses adeptes et sympathisants. Car aucun parti au monde n'a jamais réussi à acheter ses adhérents ou à acquérir le pouvoir contre de l'argent.