Par Kamel ESSOUSSI Ouf, on y arrive presque ! Si tout se passe bien d'ici le 23 octobre, ce sera la délivrance pour une Tunisie excellemment prolifique et porteuse après neuf mois de gestation pénible, douloureuse, à grands risques. Risque d'interruption forcée de cette révolution par ceux-là mêmes à qui cette Dame Tunisie avait confié ses destinées et ont été chassés hors de la maison depuis le 14 janvier après avoir, au passage, fait une razzia sur ses biens meubles et immeubles 23 ans durant ; risque de religiosité et de crise chronique de mysticisme du fait des illuminés de ses enfants qui sont rentrés au bercail et libérés de prison avec des prétentions de prendre le pouvoir et de moraliser la vie sous le sceau du halal et du haram qu'on essaie vainement, dans un équilibre de funambule, de concilier avec le légal et l'illégal; et risque d'anémie du fait de ses enfants exclus, marginalisés et affamés ne sachant pas maîtriser leur frénésie de revendications économiques au point de grignoter toutes les réserves que Dame Tunisie engrangeait pour sustenter l'embryon qu'elle portait en son sein . Que de disputes, de coups de gueule, de turpitudes, de déchirures n'a-t-on pas fait subir à notre mère patrie martyrisée mais libérée, sollicitée jusqu'à la déminéralisation mais féconde quand même et menant presque à terme sa portée d'une démocratie qu'elle couve toujours jalousement dans l'attente de cette date fatidique du 23 octobre. Tous les pays de par le monde se précipitent aujourd'hui à son chevet. Ils savent qu'elle est faiseuse d'histoire de l'Humanité depuis 3000 ans. C'est vrai qu'ils ne s'attendaient pas du tout à ce qu'elle leur concocte un certain 14 Janvier où elle a carrément décidé de bouleverser l'ordre établi de la dictature dans lequel on l'avait enfermée, pour forcer son destin encore une fois. Certains de ses amis et voisins n'ont pas trop hésité à suivre, se disant : "Si ! nous pouvons comme elle" ; d'autres n'ont pas osé encore franchir le pas, se disant qu'après tout se libérer ne veut pas forcément dire se démocratiser ; d'autres , les plus cossus d'entre eux et baignant sur des mers de richesses naturelles sous leurs pieds, rachetèrent les velléités libertaires de leur peuple en lui distribuant le plus gracieusement du monde beaucoup d'argent sans contrepartie de service rendu sinon celui de se taire et d'accepter. Mais la Tunisie n'en avait cure de ce qui se passait aux alentours ou de la manière dont on la mimait. Elle n'avait rien demandé d'autre que de la laisser en interne -ad hoc – terminer son boulot. Sa liberté, elle n'en a demandé la recette à personne. L'embryon de démocratie qu'elle porte en son sein, elle sait aussi le couver toute seule et elle l'a prouvé, du moins jusqu'ici. Elle savait qu'elle pouvait compter sur ses enfants, tous ses enfants, malgré leurs différences, leurs diversités, leurs jalousies, leurs espoirs et leurs craintes. C'est leur matière grise, faute de pétrole, qui émergea des fins fonds du terroir pour prendre en charge les destinées de cette mère féconde. C'est ainsi qu'ils se ravisèrent très vite de changer Ghannouchi et son gouvernement, se rendant compte qu'il avait participé inconsciemment à l'étouffement de toute tentative de fécondation et était résigné à la stérilité de son pays incapable à ses yeux de miracle, de procréation et d'invention. Ils installèrent à la place un homme sage qui a su apaiser les craintes en expliquant qu'il fallait planifier la gestation tout en laissant l'embryon germer sans heurts et sans trop demander à cette mère patrie enquiquinée de plus par le voisin libyen, qui lui exportait tout le chahut qui était le sien lors de la destitution de son dictateur. Iyadh Ben Achour, dans son rôle de rassembleur des enfants turbulents, indisciplinés et chahuteurs, avait pour charge de faire le calme et l'entente. Il a pu quand même aboutir à un accord sur l'élection de l'Assemblée nationale constituante "en seulement trois semaines". D'appels à la raison en coups de gueule jusqu'à l'épuisement, il fit de la réconciliation nationale son credo et son cheval de bataille, conscient que seul le pardon entre frères pouvait conduire à la réussite de la naissance. Justement et parce qu'ils sont Tunisiens et indépendamment de leurs différences, ils avaient tous compris, à force, la nécessité de laisser la mère patrie couver son embryon dans la sérénité. Ils se plièrent aux règles du jeu consensuelles élisant leurs concitoyens à la commission indépendante des élections qui fit merveilleusement bien son boulot. Comble d'amour pour la Tunisie, ils couronnèrent leurs disputes par un accord les engageant à pouponner le nouveau-né, acceptant même des cours de nurserie et de puériculture politique pour la première année qui suivra la naissance. Sous l'œil admiratif de toute la planète qui se déversa en vagues successives pour ausculter cette faiseuse d'histoire, la Tunisie continue son bonhomme de grossesse à risques qu'elle a su gérer le plus scientifiquement du monde par la grâce de ses enfants. Le Premier ministre est allé aux Etats-Unis peaufiner les derniers détails de l'accouchement prévu dans quelques jours. Ce sera probablement l'événement qui constituera la Une de tous les journaux de la planète car c'est de lui et de lui seul que dépendra le cours de l'Histoire, non pas de la Tunisie qu'on a appris à respecter enfin, mais de ce qui va suivre pour le monde arabe et le reste des continents appelés à se redéfinir et à régénérer leurs positions géostratégiques en fonction de cette naissance. Tous "les terriens" sont désormais suspendus aux lèvres, aux faits et gestes de ce minuscule pays. A nous, heureux et fiers d'y appartenir, de leur baliser le chemin vers un monde meilleur. C'est notre chance et notre destinée. On n'a pas d'autre choix que de réussir encore une fois.