Par Kamel ESSOUSSI * Il était beau ce 14 janvier plein d'espoir, de fierté, de promesses. Il était au summum de la gloire ce Tunisien devenu subitement le faiseur d'histoire de l'humanité. Elle était aux anges la mère patrie qui avait couvé des enfants aussi glorieux que toute la planète se mettait à copier. Elle dansait, chantait et s'en foutait des loups aux aguets qui se débattaient en agonie. Elle assurait insouciante sa garde et veillait dans les quartiers ignorant le monde entier qui l'ovationnait et lui tirait son chapeau. Aux lendemains de ce 14 janvier si glorieux, cette mère patrie déterrait de l'anonymat les plus illustres de ses enfants percutants et intelligents qu'elle avait tapi 23 ans durant dans ses jupons de peur que le loup les dévorât. Elle rapatria de l'étranger les autres illuminés turbulents enturbannés aux idées bizarres que le loup avait exilés, ouvrit les cages pour réhabiliter ses enfants grincheux et rouspéteurs qui faisaient de la résistance à ce même loup. On les vit défiler sur les plateaux de télévision et nous les découvrons nous l'immense majorité de la marmaille, enfants silencieux et sages qui vivotaient dans le cocon familial tant bien que mal en essayant de ne pas s'attirer le courroux du loup féroce dictateur. L'excitation était à son comble et toute la smala réunie remuait, s'agitait dans tous les sens, s'investissait au-delà des limites physiques à en suffoquer d'épuisement et de stress, tout cela dans une atmosphère parfois bon enfant , parfois émaillée de disputes, de coups de gueules, de casses, de turpitudes, de théories , et même d'idées saugrenues venues d'un autre âge. Nous sommes le 8 mai à minuit et Dame Tunisie excédée roupillait, rêvait et cauchemardait à la fois, ballottée entre le désir d'une vie plus ou moins normalisée et la lassitude des discordes qui n'en finissent pas, lorsque l'un de ses membres qui s'est forgé une réputation d'homme de confiance, commençait à vociférer de toutes ses forces que le loup n'est pas mort et qu'il est même parmi nous à la maison se cachant dans un recoin. Effrayée, apeurée, abattue, dépitée, la majorité silencieuse des enfants qui avait cru que le loup était hors d'état de nuire, fondait en larmes et se terrait. Les prétendants à la succession du loup s'accusèrent mutuellement, affutèrent leurs armes et décidèrent d'en découdre. Deux jours d'enfer ou tout le pays était au bord de la guerre civile : un champ de ruines, une police en déficit d'ordres clairs, sur le bord de l'abandon face à l'acharnement des frères qui s'entretuent, qui pillent et saccagent , une armée absente soumise à des critiques graves qui s'était investie sur les frontières pour résoudre les problèmes des missiles lancés par le voisin, un chef de gouvernement de transition qu'on croyait sage mais suspecté d'être menteur et submergé par cette troupe d'indisciplinés. Un chaos et un vrai. La peur, ah cette fameuse peur de l'inconnu qui vous serre, vous étreint au point de vous étouffer. Ah l'abattement ô combien nuisible qui éteint la flamme de l'espoir, ah la révolution tant désirée et enviée qui vous balance entre espoir d'un pays qui va entrer dans le giron des grands pays clean civilisés, et peur d'une Tunisie qui «s'afghanise» et sa capitale qui se «kaboulise». On t'aime quand même ; tous. Avec ton délire, tes errances, tes erreurs, ta passion, ta culture, ta sagesse et ta violence. On sait que tu te cherches et tu assures pour nous dénicher un environnement qui sied à notre stature de «faiseurs d'histoire». On ne te promet pas d'être sages tout le temps car le loup guette. On est sûrs tous au moins d'une chose : nous te draperons de tous les atours d'une très belle dame, la plus belle de toutes les nations. Et on y arrivera, parole de Tunisiens. K.E. * (Cadre Cnrps)