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Le Monde : La Tunisie à l'abri d'une "crise grecque"
Kiosque international
Publié dans Le Temps le 21 - 01 - 2011

L'agence de notation Moody's a dégradé la note de la Tunisie de Baa2 à Baa3, mercredi 18 janvier, pour signifier une augmentation des risques due "au changement inattendu de régime". Ses consœurs Standard&Poors et Fitch ont prévenu qu'elles pourraient bien en faire autant.
De là à imaginer que la Tunisie risque de connaître le sort de la Grèce, c'est-à-dire pâtir d'une défiance des investisseurs paniqués par la dégradation de la note débouchant sur une quasi-faillite, il n'y a qu'un pas qu'il faut se garder de franchir.
La Tunisie ne souffre d'aucun des maux de la Grèce. Elle n'a pas de problème de dette extérieure : quand Athènes voit gonfler celle-ci à quelque 120 % de son produit intérieur brut (PIB), Tunis peut se glorifier de ne pas dépasser les 47 %. Avec des réserves estimées à 10 milliards de dollars par le Fonds monétaire international (FMI), elle n'aura aucun mal à refinancer en avril et en septembre une dette de 775 millions de dollars arrivant à échéance, comme Moody's le reconnaît elle-même.
La Tunisie n'a pas non plus de déficit de compétitivité comme la Grèce où l'on jouit de revenus anormalement élevés en raison d'indexations, de doubles revenus, de rentes protégées et d'évasions fiscales en tous genres. Les salaires tunisiens sont huit fois inférieurs à ceux que l'on pratique en Europe pour la main d'œuvre non qualifiée et cinq fois pour les postes d'encadrement.
Spécialisée dans la sous-traitance textile, agro-alimentaire et mécanique, la Tunisie n'a pas connu la récession, car elle est indispensable aux groupes européens en quête d'économies et d'externalisation. Par exemple, les primes à la casse pratiquées en France ou en Allemagne ont rempli le carnet de commandes des entreprises tunisiennes fabriquant des composants et des pièces détachées pour l'automobile.
Cela explique que sa croissance demeure tonique, soit +6,3 % en 2007, +4,5 % en 2008, +3,1 % en 2009 et +3,8 % en 2010 et que le déficit de sa balance commerciale ne soit pas un problème, la Banque centrale pratiquant une dévaluation imperceptible du dinar tunisien pour préserver une compétitivité qui risquerait d'être érodée par une inflation susceptible de pousser à 5 % cette année.
S'il fallait chercher une preuve de la confiance très répandue dans l'économie tunisienne, les 3 milliards de dollars d'investissements étrangers y suffiraient, car ce montant est le même qu'en Algérie, pays pourtant quatre fois plus peuplé et doté des ressources d'un eldorado pétrolier.
La plaie de la Tunisie, c'est le chômage de ses diplômés, qui est évalué à plus de 30 %. Celui-ci est dû à l'étouffement économique qu'a provoqué la prédation des proches de l'ancien président Ben Ali. En effet, la corruption qui les a enrichis spectaculairement s'est développée grâce à l'installation de verrous ou de "péages" qu'ils ont installés sur les institutions économiques – douanes, urbanisme, infrastructures, autorisations administratives, etc. – qui ont handicapé l'activité.
De même, l'avidité de "la famille" a fait régner un climat d'incertitude. Sachant qu'un simple coup de téléphone pouvait les contraindre à céder à vil prix leur entreprise, de nombreux patrons ont préféré ne susciter aucune convoitise en se contentant de végéter comme bien des PME tunisiennes.
Un taux de croissance moyen de 5 % – quand la Banque mondiale estime qu'il pourrait être de 8 % –, des patrons frileux, un sous-investissement réel, des entreprises familiales gérées sans grands moyens et dans l'opacité se sont conjugués pour empêcher des dizaines de milliers de diplômés de la classe moyenne de trouver un emploi.
A court terme, Moody's a raison : l'instabilité politique actuelle représente un risque pour les investisseurs. En revanche, à moyen terme, la disparition politique des parasites devrait lever une hypothèque et permettre aux agences de revoir à la hausse la note de la Tunisie.
Alain Faujas
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Libération: «La Presse de Tunisie» épure sa langue de bois
Comme dans nombre de médias, les journalistes du quotidien ont destitué leurs dirigeants. L'heure est à la liberté de ton après des décennies de censure.
Le clou est toujours planté dans le mur au-dessus du bureau. Le portrait de «Zaba» (Zine el-Abidine ben Ali), lui, n'y est plus. Et le rédacteur en chef du journal non plus. Destitué. «Le bureau du chef est vide», lance une journaliste en rigolant après avoir passé la tête par la porte. Il vient de temps en temps, nous explique-t-on, mais il n'a plus de pouvoir. La Presse de Tunisie était devenu le porte-voix du régime au fil des ans. Jusqu'à samedi. Au lendemain de la fuite de Ben Ali, le quotidien a connu sa propre révolution. Les journalistes ont gentiment prié leur rédacteur en chef, nommé par l'ex-parti au pouvoir, le RCD, de dégager. «La révolution concerne tout le monde, c'était impensable pour nous que le journal ait le même contenu qu'avant», insiste Souad ben Slimane, journaliste à la rubrique culture. Depuis mardi, c'est donc un comité de rédaction composé de onze journalistes qui décide du contenu du journal. Le contraste est flagrant : le 19 janvier, une caricature sur le gouvernement de transition a remplacé la photo de Zine el-Abidine Ben Ali en une. Pendant vingt-trois ans, tous les jours, Zaba était en une du journal, toujours souriant.
Lotfi ben Sassi, caricaturiste depuis onze ans pour la Presse, raconte comment, chaque jour, il devait trouver une nouvelle ruse pour échapper à la censure : des dessins très critiques, au départ, histoire que la deuxième ou la troisième version exigée ne soit pas totalement vidée de sens. «Je faisais des insinuations, j'étais contestataire, mais en catimini», se souvient-il, en évoquant un rétrécissement de l'espace de liberté d'expression au fil du temps ; au fur et à mesure que le clan Ben Ali étendait son pouvoir économique. «On n'a pas le droit de parler de voiture quand c'est eux qui ont acheté la concession, on n'a pas le droit de parler d'aviation quand c'est eux qui ont acheté les compagnies, pas le droit de parler de sport quand c'est eux qui président un club», énumère Lotfi, qui oublie de parler au passé, tant le changement est récent.
Système. Le silence du bureau du rédacteur en chef contraste avec l'animation de la salle de rédaction. Un box en verre tout en longueur avec quelques tables marron et des ordinateurs. La vingtaine de journalistes présents débattent avec fougue. «Dans cette période de transition, nous n'écrirons rien avec lequel tout le monde n'est pas d'accord», explique Fouzia Mezzi, la chef du comité de rédaction ce jour. «Comment on va gérer les journalistes qui ont collaboré avec le système?» interroge une autre. «Quelle est l'identité qu'on va donner au journal ?» Les questions fusent, tout comme les suggestions sur le contenu du journal. Mais perce aussi l'angoisse sur la suite à donner à l'aventure. De la fenêtre ouverte parviennent les échos des manifestations. «RCD dégage!» scandent les manifestants depuis plus de deux heures sur l'avenue Bourguiba, l'artère centrale de la ville. «Il y a une volonté d'être libre, mais c'est pas facile, soupire Souad. Il va falloir désintoxiquer les gens, on a toujours cette autre partie de nous qui nous dit : "Bon, ça va être censuré, essaie d'arrondir les angles, d'enjoliver les choses."»«Cela fait des années qu'on chuchote en parlant politique. Devenir libre tout de suite, c'est difficile, quel sens donner au mot liberté après une cinquantaine d'années de répression», ajoute-t-elle. Pour l'édition du lendemain, elle compte écrire un reportage sur une librairie du centre-ville qui, depuis lundi, expose dans sa vitrine exclusivement des livres jusque-là censurés.
Nadia Chahed, 32 ans, n'a pas réussi à pondre une ligne depuis samedi. «J'ai plein d'idées, mais j'ai peur de ne pas être à la hauteur. A partir du moment où on est libre, je me dis qu'il faut écrire très bien. On s'est tellement habitués à cette langue de bois», confie-t-elle. Elle aussi raconte la surenchère des dernières années, avec des photos du Président et de sa famille de plus en plus nombreuses dans le journal, des statistiques inventées, toujours positives. Elle raconte un quotidien qui n'a pas parlé des émeutes qui secouent la Tunisie depuis plus d'un mois ou de l'immolation de Mohamed Bouazizi, ce jeune diplômé chômeur qui a donné le coup d'envoi au mouvement. Nadia parle aussi du système de faveurs pour les journalistes les plus fidèles au régime. Des primes de productivité, de nuit ou du dimanche, qui étaient plutôt des primes de zèle.
Ailleurs aussi, les autres médias grignotent de nouveaux espaces de liberté. A la télévision tunisienne, les journalistes ont également mis leurs anciens dirigeants au placard. La télévision TV 7 a légèrement modifié son logo. Des Tunisiens y interviennent en direct à longueur de journée. Même la TAP (Tunis Africa Press), l'agence de presse officielle, parle désormais des Tunisiens qui descendent dans la rue pour manifester contre le maintien du RCD au gouvernement. Un vent de liberté souffle. «On ne veut pas de règlement de comptes avec les responsables, on veut profiter de ce vide politique pour prendre un maximum de liberté», confirme Chokri ben Nessir, journaliste politique. Blouson de cuir noir et cheveux grisonnants, lui aussi a vu ses articles censurés de plus en plus souvent ces dernières années ou modifiés jusqu'à devenir incompréhensibles. Derrière lui, de grands classeurs rangés dans un vieux placard marron compilent les anciennes éditions de la Presse. Au loin, on entend les tirs en l'air de la police qui tente de disperser les manifestants. «On veut être plus proches des Tunisiens, nous avons beaucoup de choses à rattraper, poursuit Ben Nessir. On peut accuser tous les journalistes de complicité passive avec le régime. Certes, on protestait ailleurs, dans les bars ou les cafés, mais on n'a jamais été solidaires les uns des autres. Là, c'est l'occasion.» Chokri montre la une de la Presse de Tunisie du 14 janvier, le jour où Ben Ali a quitté le pays après une manifestation gigantesque dans la capitale. En gros caractères noirs, on peut lire : «Ben Ali : Je vous ai compris tous, je vous ai tous compris.» A côté, une grande photo de Zine el-Abidine Ben Ali souriant d'inconscience.
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Le Figaro: La vie de palace de Ben Ali à Djedda
Le président tunisien déchu a été accueilli dans la plus grande discrétion dans cette ville côtière d'Arabie saoudite, qui a déjà reçu plusieurs dirigeants en exil. Une étape avant un probable départ pour la Libye.
On le croyait en France, à Malte ou encore à Dubaï. Mais c'est à Djeddah, en Arabie saoudite, que Zine El Abidine Ben Ali a posé ses valises, dans la nuit de vendredi à samedi dernier, à l'issue d'une errance aérienne de plusieurs heures. Le Falcon du président tunisien déchu s'est posé aux alentours de 1h, heure française - 3h dans la péninsule arabique - à l'aéroport de cette ville de plus de trois millions d'habitants située sur les côtes de la mer Rouge, à l'ouest du pays. L'ex-dirigeant tunisien, accompagné de six membres de sa famille, aurait passé sa première nuit dans le palais du prince Sultan. Avant de prendre ses quartiers dans un ancien palais royal qui sert désormais de résidence officielle pour les invités du royaume.
Derrière un haut mur d'enceinte et sept portails, gardés en permanence par des soldats, Ben Ali et sa famille profitent du palais de marbre blanc, entouré de palmiers et de verdure. Ils disposent du personnel et des gardes du corps mis à disposition par le royaume. En échange de ces largesses, le président déchu, considéré comme un réfugié politique de luxe, mais pas comme un chef d'Etat en visite, doit rester discret. «L'Arabie saoudite ne l'autorisera pas à faire des déclarations politiques ou à s'adonner à une quelconque activité politique, ni à mener des contacts avec la Tunisie», a prévenu sur al-Arabiya Jamal Khashoqgi, un analyste proche des autorités saoudiennes.
«Un havre de paix pour dictateurs»
Une retenue qu'ont dû respecter tous les chefs d'Etats en exil accueillis par l'Arabie saoudite. A l'instar de l'ancien premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, qui s'est réfugié pendant huit ans au royaume après le coup d'Etat du général Pervez Musharraf, en 2000. Arrivé à Djeddah en 1979, l'ancien dictateur ougandais Idi Amin Dada a vécu jusqu'à sa mort, en 2003, dans une villa mise à sa disposition par les autorités, mais devait lui aussi faire profil bas. Avec ses cinq femmes et ses nombreux enfants, la présence du tyran africain était encombrante pour le royaume. Mais «par charité islamique et en remerciement pour son rôle dans la diffusion de l'islam», les autorités saoudiennes ont toléré sa présence.
Pour justifier l'accueil de Ben Ali, le cabinet royal saoudien assure officiellement avoir pris «en considération les circonstances exceptionnelles que traverse le peuple tunisien». En réalité, Ben Ali entretient de bonnes relations avec les membres de la famille royale saoudienne. Il connaît particulièrement bien le prince Nayef Ben Abdel Aziz, ministre de l'Intérieur depuis les années 1980, époque à laquelle Ben Ali occupait le même poste. L'héritier du trône participait notamment aux chasses organisées par Ben Ali.
Malgré cette proximité avec les autorités de Riyad, il paraît peu probable que Ben Ali prolonge son séjour en Arabie saoudite. D'abord parce que la population apprécie moyennement la présence de personnalités contestées sur son sol. Pour Mohammed al-Kahtani, un opposant à la famille royale interrogé par l'agence Reuters, l'exil de Ben Ali à Djeddah «donne un mauvais signal et accrédite l'idée que l'Arabie saoudite est un havre pour dictateurs».
D'autres commentateurs laissent entendre que la famille de Ben Ali ne réussira pas à s'adapter au rigorisme religieux en vigueur dans le royaume. A commencer par la femme du président déchu, Leïla Trabelsi, une ancienne coiffeuse habituée aux tailleurs de haute-couture et qui n'a jamais porté le voile. Selon RTL, la famille Ben Ali pourrait donc rapidement quitter Djeddah pour rejoindre la Libye du colonel Kadhafi, qui s'est déjà dit prêt à l'accueillir.
Jim Jarrassé
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Courrier international: La fête du 14 janvier ne sera pas oubliée
Il y a des moments inédits qu'il faut savourer. Ce mystérieux 14 janvier, qui a vu la fuite précipitée du président tunisien, en est un. On ne sait pas exactement ce qui s'est passé, ni quels en furent les protagonistes. On suppose que Mme Ben Ali a pris peur, que son mari a demandé à retirer quelques lingots d'or. On peut imaginer qu'alors les généraux, Rachid Ammar en tête, aient fait pression sur le président. Souvenez-vous, cet officier, ancien chef d'état-major, avait été limogé une semaine auparavant par Ben Ali pour avoir refusé de tirer sur les manifestants. Dès le 14, donc, il est rétabli à son poste, preuve qu'il fut bien à l'origine de la chute du président.
Alors, oui, il faut savourer et rendre grâce à tous ces jeunes (et parfois moins jeunes), hommes et femmes, qui ont osé braver les forces de police, qui ont osé dire non à ce pouvoir inique et arbitraire. Il faut rendre hommage à Mohamed Bouazizi, 26 ans, qui s'est immolé par le feu le 17 décembre.
Rendre hommage aussi aux 78 personnes qui ont perdu la vie lors des émeutes et aux nombreux blessés. Pour une fois, le sacrifice de ces quelques-uns n'aura pas été vain. Il faut donc saluer aussi l'action des militaires, qui n'ont pas accepté de seconder des forces policières nombreuses mais heureusement dépassées par les événements. Il faut aussi rappeler tous ceux qui, au cours de toutes ces années, ont refusé de collaborer et l'ont payé par la prison, le harcèlement ou l'exil. On peut citer l'éditrice Sihem Bensedrine, l'avocate Rhadia Nasraoui, le défenseur des droits de l'homme Kamel Jendoubi, l'écrivain et journaliste Taoufik Ben Brik…
C'est un fait, la Tunisie n'a pas de Václav Havel en son sein, elle n'a pas non plus de Gorbatchev pour entamer une transition. C'est peu dire que l'opposition à Ben Ali a toujours été divisée et que chacun aujourd'hui y joue sa partition, soupçonnant les autres d'avoir profité du régime ou de vouloir se placer pour la suite. On voit cette semaine de nombreux manifestants continuer de refuser ce gouvernement d'union nationale qui reconduit trop de caciques de l'ancien régime.
Malgré cela, la fête du 14 janvier ne sera pas oubliée de sitôt. La presse tunisienne, tout d'abord muette devant l'événement, commence aujourd'hui à se libérer. Et, autre bonne nouvelle, Courrier international, qui avait souvent subi la censure du régime et qui était totalement interdit depuis octobre 2009, est de nouveau dans les kiosques tunisiens
Philippe Thureau-Dangin
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Le Soir : La Tunisie, Ben Ali et moi
Une fois n'est pas coutume : qu'il me soit permis de partager ici les heurs et bonheurs que dix-neuf ans de couverture du dossier tunisien ont pu me faire vivre comme journaliste du Soir. Quand, à 18 h 38 vendredi dernier, une dépêche urgente de l'Agence France Presse annonça que le président Ben Ali avait quitté son pays, une forte émotion m'a envahi et je dus presque réprimer une larme. Voici pourquoi.
Feu Pierre Lefèvre, alors chef du service Monde, avait eu l'idée, en 1992, de m'envoyer à Tunis suivre le congrès du RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique), le parti déjà omnipotent en Tunisie. J'allais d'ailleurs vite comprendre que les partis (ou les pays) qui veillent à ajouter le qualificatif « démocratique » dans leur nom souffrent en réalité d'un gros problème de ce côté.
Des invités de tout le monde arabe étaient attendus à ce congrès qui me permit en effet de nouer de nombreux contacts intéressants. Mais une anecdote me mit au parfum des us et coutumes locales. Je fus en effet contacté par Moncef Marzouki, alors président d'une Ligue tunisienne des droits de l'homme déjà harcelée par le pouvoir. Il m'avait rejoint dans le hall de notre hôtel avenue Bourguiba, mais insista à ma grande surprise pour monter rapidement dans notre chambre. Là, il mit le poste de télévision en marche avec le son bien fort. « Vous comprenez, “ils” ont des oreilles partout ! » L'interview, par ailleurs très instructive, se passa dans ces conditions curieuses…
L'ambassadeur mécontent Par la suite, des amis tunisiens m'apprirent que la teneur de mes articles écrits de Bruxelles déplaisait beaucoup à Son Excellence Monsieur l'Ambassadeur. Ce dernier me convia finalement à un entretien au cours duquel il tenta de me convaincre des bienfaits du régime du président Zine el-Abidine Ben Ali. C'était trop tard : mes indignations en matière de droits de l'homme avaient pris le dessus. Un reportage aux élections de 1994 confirma mon impression. Et déplut d'importance au dit ambassadeur.
C'est ensuite que l'une de mes connaissances tunisiennes, un habitué de l'ambassade, me fit savoir que j'étais officieusement persona non grata en Tunisie. Six années sans reportages allaient suivre. Un « espion » dont je disposais au sein du conseil des ambassadeurs arabes à Bruxelles me raconta alors en 1998 que la Tunisie (et l'Algérie) avait demandé que figurât à l'ordre du jour d'une des réunions mensuelles des ambassadeurs arabes dans un hôtel bruxellois de luxe cette question : « Que faire avec ce Baudouin » (l'usage arabe impose de nommer les gens par leur prénom). Par chance, il n'y eut apparemment pas unanimité sur le sort à me réserver grâce, je crois, à la fougueuse défense de mon « espion ».
Quant à retourner en Tunisie, je dus attendre mon tour. Qui vint en septembre 2000, à l'occasion du retour chez lui du journaliste Taoufik Ben Brik, qui avait passé quelques mois estivaux à Paris après une célèbre grève de la faim menée pour obtenir son passeport. Ben Brik, un drôle de coco à la plume inspirée trempée dans le picrate, avait réuni des députés européens et quelques amis journalistes pour lui faire une garde d'honneur de nature à dissuader le régime de l'embastiller dès son retour. Le scénario allait bien fonctionner : à l'arrivée à l'aéroport de Tunis-Carthage, une foule en liesse nous avait accueillis et Ben Brik put organiser de sympathiques agapes nocturnes bien arrosées.
Mais les articles du Soir continuaient à déplaire en haut lieu. Chaque ambassadeur tunisien affecté à Bruxelles s'en plaignait amèrement, puisque, chose bizarre mais avérée, il était tenu pour personnellement responsable de tout papier négatif paru sur le régime ! On dit même que l'un des ambassadeurs tunisiens dans la capitale belge fut limogé à la suite d'un de mes articles, mais cela n'a pu être vérifié…
L'acrimonie du régime tunisien à mon égard se confirma en tout cas peu de temps plus tard. Un diplomate belge rencontré quelques années plus tôt à Jérusalem me confia en effet qu'à l'occasion d'une visite à Bruxelles du ministre tunisien des Affaires étrangères, en 2002, Louis Michel, alors son alter ego belge, s'entendit demander s'il pouvait « faire taire ce journaliste-là, ce Baudouin, qui nuit à l'image de la Tunisie » ! Selon ma source, des plus fiables, « Big Loulou » vit rouge et fit comprendre d'un ton peu amène à son interlocuteur qu'on ne mangeait pas de ce pain-là en Europe…
J'eus d'ailleurs plusieurs fois l'occasion d'interviewer à Tunis des ministres importants : ceux des Affaires étrangères, de l'Information, de la Justice, des Droits de l'homme (si, si !). Le point commun de tous ces hommes n'étonnera personne : tous, avec un identique zèle pathétique, maniaient une langue de bois ahurissante, même quand ils constataient avec dépit que leurs efforts rhétoriques ne semblaient pas percer mon scepticisme ombrageux.
(…)Ces investigations furent pour moi l'occasion de croiser des destins émouvants. Je resterai longtemps hanté par le long corps décharné, le visage émacié et les yeux vides de Lassaad, un islamiste torturé pendant des mois et d'une manière abominable qui l'avait laissé handicapé. Son témoignage poignant, infiniment triste, était de ceux qui vous font douter de la nature humaine.
Par le même biais, je pus rencontrer des êtres d'exception. Comme Radhia Nasraoui. Ce merveilleux petit bout de femme, avocate admirable défendant sans relâche les plus démunis, les islamistes par exemple, alors que les barbouzes locales ne perdaient pas une occasion de la maltraiter, l'insulter, de saccager son cabinet, de détruire ses dossiers, de cerner son immeuble.
D'autres noms se bousculent dans ma tête. Comme Taïeb Moalla, ce jeune journaliste rencontré à Tunis en 2000 qui devint brièvement le correspondant du Soir avant d'aller vivre à Québec non sans pourtant rester l'homme le mieux informé au monde sur le « who s'who » en Tunisie. Taïeb m'a rendu d'innombrables services, et avec une vivacité qui m'a toujours bluffé.
(…)Vous parlerais-je aussi des caractères plus faibles que j'ai croisés ? Ce Mezri Haddad, brillant intellectuel qui, également exilé à Paris, m'avait donné des interviews éloquentes où il dénonçait « la trahison des intellectuels et la flagornerie des courtisans » et cela pendant plusieurs années avant de soudainement se faire le chantre du régime et même d'en devenir l'ambassadeur (à l'Unicef). Il a opportunément claqué la porte ce vendredi, quelques heures avant la fuite de son maître…
Plus triste encore est le cas d'Ahmed Manaï, un homme torturé puis exilé à Paris où les sbires du régime réussirent à la retrouver pour le rosser et l'envoyer à l'hôpital. Son livre Un supplice tunisien comportait des lignes presque insupportables. Eh bien ! cet homme a aussi rallié le régime, dans la plus absolue discrétion, sans doute parce qu'il voulait mourir dans son pays…
Quant aux ambassadeurs belges à Tunis, auxquels je rendais toujours visite, j'eus l'occasion d'en croiser de toute sorte. Un Guido Courtois, en 1994, facilita avec Anne-Marie Lizin une interview exclusive de Yasser Arafat. J'oublierai charitablement d'autres ambassadeurs belges pour m'arrêter au dernier, Thomas Antoine, qui avait tout compris sur le régime et me le disait. Un type bien.
Lors de mon dernier reportage, en octobre 2009, à l'occasion des ultimes « élections » que le régime allait organiser, je me rendis d'abord à l'ATCE (Agence tunisienne de communication extérieure, notamment chargée de surveiller la presse étrangère) pour y obtenir mon accréditation. L'hôtesse à l'accueil signala prestement ma présence à Mme Bochra Malki, une charmante quinquagénaire qui s'occupe des journalistes « difficiles » dans mon genre. Elle descendit quatre à quatre pour m'accueillir les bras ouverts et le sourire aux lèvres avec cette exclamation : « Ah, quel plaisir d'accueillir à Tunis la légende Baudouin Loos ! ». Très bon pour l'ego, ce genre de réflexion, même si le côté dérisoire de la scène ne m'échappait pas.
Et d'ailleurs la dame m'expliqua qu'elle me lisait toujours attentivement (ce qui ne pouvait pas être le cas de la plupart des Tunisiens puisque Le Soir y était interdit, que cela soit en version papier ou en ligne), qu'elle appréciait même mes articles à quelques nuances près… « Je peux vous citer ? », ma question facétieuse l'avait rendue rouge écarlate.
Malgré cette « admiration » dont je faisais l'objet, malgré les discrètes filatures dont on me gratifia si souvent, je n'eus cependant jamais les honneurs d'une expulsion en bonne et due forme, contrairement à mon excellente consœur du Monde, Florence Beaugé. Celle-ci fut renvoyée en France au même moment, en octobre 2009. Je vécus très mal cette injustice car Florence et moi avions le même carnet d'adresses, et une plume pareillement critique, pourtant jamais n'eus-je la chance de vivre une belle expulsion. Ne l'avais-je donc point méritée ?


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