Par Najet SASSI L'une des déclarations phare du discours de "feu 7 novembre" a été "l'Etat de droit et des institutions" à laquelle tous les Tunisiens ont cru, vu la situation du pays à l'époque. Pour "concrétiser" cet Etat de droit on nous a gavé (voire "bombardé",) pendant 23 ans, de droits divers allant de celui des personnes âgées jusqu'à celui de la création des partis d'opposition (je ne peux m'empêcher d'ajouter" partisane" au risque de faire un non sens linguistique mais qui est très édifiant quant à la réalité de l'inflation de langage très courante sous l'ancien régime). Pour mieux ancrer, dans le subconscient des Tunisiens, ces droits nouvellement acquis, au dire des "responsables" durant cette période, ces droits étaient repris dans tous les discours officiels aussi bien à l'échelle nationale que régionale ou locale. Il fallait que les Tunisiens comprennent "la chance" qu'ils avaient d'être gouvernés par des personnes dont la préoccupation majeure était de les faire vivre dans le droit, la quiétude, la sécurité (qui découlait de la leur en réalité),l'égalité (surtout "devant la loi"), le respect, la transparence, le civisme, la solidarité…et j'en passe. Beaucoup de Tunisiens y ont cru, souvent à leurs dépens .Beaucoup d'autres ont compris, dès les années 90 déjà, l'ampleur de cette "comédie des droits" derrière laquelle se cachait le masque hideux d'une dictature pernicieuse, perfide, insidieuse, impitoyable et redoutable dont le but était de s'enrichir, sans honte ni remords et retenue, sur le dos de ce peuple qui avait tant applaudi à ce qu'il croyait être le vrai changement. Ainsi, pendant 23 ans, des Tunisiens, comme nous, ont, lentement mais sûrement et en toute connaissance de cause, détruit les piliers sur lesquels notre pays tentait de se maintenir face aux dérives des dernières années du "règne de Bourguiba". L'enseignement et la culture, qui sont les garants d'une société patriote, développée, instruite, équilibrée et consciente de ses droits (pour lesquels des Tunisiens sont morts avant, après l'indépendance et depuis la révolution) et de ses devoirs, étaient donc les premiers piliers à abattre. Ce qui se passe en Tunisie, depuis le 14 janvier, est la preuve que cette destruction méthodiquement programmée a bel et bien abouti. Aujourd'hui, on ne parle que de ces droits auxquels on a cru mais dont on a été si cruellement privés. Aujourd'hui, on parle très rarement de devoirs. Aucun parti politique, du moins à ma connaissance, n'en parle dans son programme, si bien qu'aujourd'hui on réclame le droit au travail mais on se met en grève sans suivre la procédure, on demande des augmentations de salaires mais on déserte les lieux de travail sans tenir compte des conséquences qui peuvent s'ensuivre, on exige de faire librement son travail mais on ignore les règlements, les procédures et les lois qui nous autorisent à le faire, on veut tout avoir mais on n'est pas prêt à faire la moindre concession et gare à celui ou celle qui ose nous priver de "nos droits ,sans devoirs" si chèrement et fraîchement acquis, il (ou elle) aura droit à un "dégage" en règle. Longtemps obligés de se taire, on veut, depuis le 14 janvier, parler, parler et encore parler mais on ne prend pas le temps d'écouter. Longtemps traités avec irrespect, mépris et déconsidération, on veut à notre tour mépriser, déconsidérer et ne plus respecter. En un mot, on veut faire subir ce qu'on nous a fait subir et cela se comprend. Mais est-ce la solution qui nous fera avancer ? Aujourd'hui, "l'autorité," est systématiquement remise en cause et parfois malmenée. La hiérarchie n'existe plus. Cette attitude, par ailleurs tout à fait compréhensible après 23 ans de dictature, ne doit pas perdurer, au risque de faire des dégâts considérables, difficiles à réparer pour ne pas dire irréversibles. On a tellement soif de droits, trop longtemps bafoués, qu'on oublie que ces droits vont incontournablement de paire avec les devoirs qui les "légalisent". Aussi tant qu'on hypertrophiera "nos droits" tout en ignorant "nos devoirs", il manquera toujours un maillon pour former la "chaîne sociale". Tant que le respect de l'Etat, des institutions, de l'individu dans sa différence surtout, ne sera pas notre règle de vie et tant que les responsables (des authentiques cette fois) n'appliqueront pas la loi dans la gestion de leurs services, la Tunisie n'avancera pas. On sera, une fois de plus, soumis à la dictature de ceux qui la gouverneront. On ne pourra s'en vouloir qu'à nous-mêmes, cette fois, d'avoir raté le coche de la dignité et de la liberté retrouvées et supporter les conséquences qui s'en suivront. Alors, pour éviter que l'on refasse la douloureuse expérience d'une troisième dictature, quelqu'un aurait-il l'obligeance de rappeler la précieuse et inévitable équation des droits et des devoirs.