Par Mohamed Ridha BOUGUERRA J'appartiens à la génération qui a appris à écrire avec une sorte de stylet en roseau sur une planche préalablement enduite d'argile et séchée au soleil. C'était l'époque de nos vertes années et du passage obligé par l'école coranique sur laquelle régnait un vieux et respectable maître qui nous enseignait surtout le vrai et le bien ainsi que la politesse et le respect des aînés ou encore le civisme et l'amour de la patrie. Le tout sans dogmatisme et sans fanatisme aucun. Puis ce fut l'école franco-arabe où nous avons usé nos fonds de culottes sur les bancs de pupitres munis d'une tablette où, dans un trou, était logé un encrier. C'était le temps des plumes sergent-major, des pleins et des déliés qu'exigeait l'apprentissage du tracé des caractères latins. C'était aussi le temps de nos doigts encore malhabiles à tenir entre le pouce et l'index ces fins et longs porte-plumes effilés qui nous meurtrissaient les doigts et, surtout, y laissaient de quasi permanentes marques d'encre. Nous étions bien loin de le soupçonner alors, mais nos doigts tachés d'encre faisaient de nous, aux yeux de la multitude qui n'avait pas la chance de fréquenter l'école, des savants ou presque ! Eh bien, voilà qu'en ce mois d'octobre et de rentrée scolaire, l'Isie nous offre l'opportunité de renouer avec ce passé bienheureux et de retrouver l'enivrante odeur de l'encre fraîche de jadis! Le dimanche 23 nous aurons, en effet, à maquiller notre pouce d'encre indélébile avant d'accéder à l'isoloir. Cette mesure, souvent pratiquée, d'ailleurs, sous d'autres cieux dans des circonstances similaires aux nôtres, est destinée à empêcher les tricheurs de pouvoir voter plus d'une fois avec des cartes d'identité volées par exemple ou appartenant à des morts carrément. Car des cartes volées et des identités usurpées, l'Isie en a compté, hélas, des dizaines et des dizaines de milliers ! Sans vouloir faire un jeu de mots facile, on peut avancer que grâce à cette tache d'encre, nos élections ne seront pas entachées d'irrégularités ! Mais cette tache d'encre que nous allons porter pendant près de 72 heures aura pour tous, sans aucun doute, une signification positive. Nous allons, en effet, fièrement l'arborer lundi 24 au travail, en ville ou dans les champs, au bureau, à l'usine, sur le chantier ou à la fac. Elle sera le signe clairement intelligible du devoir accompli. Elle manifestera notre véritable citoyenneté. Elle servira à distinguer ceux qui méritent pleinement le titre de Tunisien de ceux qui, loin d'être responsables et conscients des enjeux du moment historique que nous vivons, ne le portent que par accident ou hasard. Comme nos traditionnelles marques de henné sur les mains, symboles de bonheur lors de certaines circonstances heureuses, retrouvailles familiales en été, circoncision, fiançailles ou mariage, la tache d'encre proclamera notre entière participation à la fête de la démocratie. Alors ne ratons pas notre rendez-vous avec l'Histoire, la Grande, celle qui retient les moments capitaux au cours desquels des femmes et des hommes ont, en commun, écrit une page qui dessine l'avenir pour les générations futures. Acceptons donc cette tache d'encre comme celle des constructeurs du futur et qui dira haut et fort notre engagement jaloux pour la Tunisie à laquelle nous aspirons tant, c'est-à-dire moderne, tolérante, ouverte, égalitaire et démocratique.