Lors d'un séminaire organisé à Kairouan en septembre dernier, M. Boubaker El Akhzouri, ministre des Affaires religieuses, a affirmé que le nombre des écoles coraniques en Tunisie était estimé à 1051et qu'il pourrait atteindre les 1100 à la fin de 2009. Il a également précisé que le nombre d'enfants inscrits dans ces établissements est en croissance constante, atteignant 25 mille enfants. Ces chiffres montrent que l'école coranique, appelée communément « Kottab », fait encore partie des traditions chez les Tunisiens qui la considèrent comme une période d'initiation, obligatoire à tout enfant de l'âge de 3-5 ans, une phase préparatoire avant d'entrer à l'école publique à l'âge de six ans. Elle joue ainsi un rôle éducatif de par les préceptes religieux et les valeurs morales qu'elle inculque à ces petits tout en apprenant les bases et les principes de la langue arabe et la façon dont on prononce les mots, sans oublier le rôle qui incombe à ces écoles coraniques dans l'intégration sociale des jeunes apprenants. Aussi l'Etat a-t-il pris les mesures nécessaires pour promouvoir ces écoles coraniques en les organisant et en les dotant de programmes officiels et de cadres enseignants appropriés.
Nouveaux « kottabs », nouvelles méthodes Généralement situées dans les mosquées ou juste à côté, ces écoles sont constituées d'une salle unique groupant de 30 à 40 gamins et gamines. Si jadis, les élèves s'asseyaient à même le sol, sur des nattes, aujourd'hui, ils ont droit à un pupitre tout comme dans les écoles primaires et secondaires. Ils disposent d'un tableau sur lequel le maître, appelé « meddeb » écrit les mots et les phrases qu'il fait apprendre à ses élèves. Les murs de la classe sont décorés d'affiches illustrées et de dessins faits par les élèves eux-mêmes. Certaines écoles sont dotées d'un ordinateur sur lequel les enfants se relaient pour s'adonner à certains jeux éducatifs. Le maître de l'école coranique n'est plus cet homme auguste vêtu d'une djebba et muni de son bâton et de sa « falka » qui traumatisait les générations passées. Les méthodes éducatives et pédagogiques ont bien changé dans ces établissements préscolaires. Il est devenu rare aujourd'hui de voir un « meddeb » mener ses petits à la baguette ou à la « falka » ; c'est défendu par la loi. Les enseignants de la nouvelle génération dans ces écoles coraniques sont désormais titulaires d'une licence en théologie de l'Université de la Zitouna et doivent subir une formation pédagogique à l'Institut supérieur de théologie de Tunis. On y voit aussi de plus en plus des femmes enseignantes tenir ces écoles coraniques, une chose bien appréciée par la plupart des parents qui préfèrent inscrire leurs petits dans ces écoles. « Les femmes sont plus douces et témoignent d'une grande patience et se comportent avec beaucoup de soin et de délicatesse avec les gosses », nous a déclaré un parent qui ramenait son enfant de l'école. De nouveaux programmes sont introduits dans les écoles coraniques qui sont centrés sur l'enseignement du Coran, de la Sunna (tradition du prophète) et des sciences modernes. En outre, l'enfant n'y apprend plus à répéter ou à réciter souvent sans comprendre les versets coraniques ; mais d'autres disciplines sont ajoutées au programme de ces écoles comme l'écriture, le calcul le dessin et l'éveil scientifique. « J'ai acheté des fournitures à ma fille inscrite dans ce kottab, nous a confié une dame, tout comme j'ai fait pour mon fils qui étudie en 2è année primaire : il y a l'ardoise, les cahiers pour l'écriture, des crayons de couleurs pour le dessin... » C'est en effet l'équivalent d'une maternelle ou d'un jardin d'enfants ou même d'une classe préparatoire, mais centrée sur l'enseignement religieux. Ces écoles ont bénéficié d'une réforme globale depuis l'année 2001-2002 visant à moderniser les programmes et les approches pédagogiques en les adaptant à l'esprit de l'époque. Ces établissements doivent ainsi se soumettre à un contrôle pédagogique et sanitaire pour assurer les conditions favorables d'apprentissage, de propreté et d'hygiène à ces petits enfants. « Je suis très satisfaite de l'éducation reçue par mon enfant dans cette école, nous a assuré la mère d'un enfant qui fait sa 2ème année d'école coranique ; il est capable maintenant de réciter plusieurs sourates du livre saint et peut faire des opérations de multiplication et de division en calcul, ce qui lui permettra d'entamer l'école primaire aisément ! Mon fils aîné qui n'a pas fréquenté le kottab ne sait pas bien articuler certains mots quand il s'agit de lire ou de réciter sa leçon ! ». C'est peut-être pour cette raison que plusieurs parents préfèrent le kottab à un jardin d'enfants où, selon eux, la priorité est donnée aux jeux et aux activités artistiques et où l'apprentissage linguistique et phonétique est presque absent.
Ecoles modernes Cependant, le fait que la plupart des écoles coraniques ne disposent souvent que d'une salle unique regroupant des gamins de niveau et d'âge différents, vu que nouveaux et anciens sont dans la même classe, cela pourrait entraver le travail des enseignants dans ces écoles dont la tâche est de satisfaire les uns et les autres. « Oui, c'est un vrai problème, nous a confié un maître d'école coranique, mais dans ce cas, la priorité est toujours donnée aux nouveaux à qui on doit apprendre la prononciation ; le rôle des anciens est d'aider leurs nouveaux camarades et au bout de deux ou trois mois, tout s'arrange et le rythme d'apprentissage sera le même pour tout le monde. Sauf que certains élèves demandent plus de soin et d'attention que d'autres ! Il est toujours question d'organisation de travail ; par exemple pendant que je fais mon cours oral aux nouveaux, les anciens s'occupent d'un exercice écrit, font un dessin ou un jeu éducatif. » En effet, les activités dans ces écoles ne se bornent plus à la lecture ou la récitation de versets coraniques comme autrefois, mais elles sont devenues si diverses que l'enfant peut en sortir bien entraîné et tout prêt à affronter les programmes officiels une fois entré à l'école de base ! Nos kottabs se modernisent grâce aux différentes mesures prises visant à les réorganiser et les mettre à l'air du temps en vue de redorer leur image aux yeux des Tunisiens qui, à un certain moment, ont discrédité, non sans raison, le kottab au profit des jardins d'enfants pour éviter à leurs petits enfants d'être tabassés à coup de bâton par un « meddeb » arrogant et irascible. Aujourd'hui, ce meddeb est devenu un être plus doux, plus ouvert et plus tolérant ! Les temps ont bien changé ! « Dans le kottab d'antan, nous raconta un autre homme, on n'enseignait que le Coran. Nous devions apprendre à répéter par coeur les versets coraniques dont on ne comprenait pas le sens ! Gare à celui qui se trompait dans sa récitation du Coran ! Il fallait s'attendre à des châtiments corporels au moyen du bâton (la fameuse branche d'olivier), comme quoi il voulait nous mettre sur le droit chemin ! » Ce temps est révolu. Nos « kottabs » ont tourné la page pour être tout simplement à la page !