Après le 14 janvier, la date du 23 octobre est sans doute la plus cruciale pour l'aboutissement de notre jeune révolution. Dans les bureaux de vote, les citoyens, dont la plupart exercent pour la première fois leur devoir électoral, ont montré un engouement semblable à celui qui les a menés à crier à gorge déployée «Ben Ali dégage», sous le regard stupéfait du monde entier. Ce même regard est aujourd'hui dirigé vers la Tunisie dans ses premières élections démocratiques. Des artistes et des intellectuels nous livrent leurs témoignages et impressions de cette journée mémorable. Naceur Ben Cheikh : «Un impact sur l'humanité» Le grand nombre de votants est un indicateur du sens de la responsabilité des Tunisiens face à leur destin commun. Cette initiative montre notre peuple sous un visage jeune et nouveau, un peuple qui croit en son pouvoir de changer son devenir, contrairement aux citoyens occidentaux qui délaissent de plus en plus les urnes. Les Tunisiens sont optimistes. J'espère que la révolution sera à la hauteur de son impact sur l'humanité. Abdelwahab Bouhdiba : «Nous entrons dans l'âge mûr» C'est un très grand jour. Une grande page de l'histoire de la Tunisie est tournée et peut-être même de toute la région. Ce qui va en sortir c'est certainement une Tunisie nouvelle, des pensées fidèles à la révolution. C'est un grand témoignage face à l'Histoire et face à la conscience de soi. Nous entrons dans l'âge mûr et je pense que nous ne serons pas déçus. Du moins, j'espère que nous ne serons pas déçus... Ibrahim Letaïef : «Un dimanche pas comme les autres» J'ai été très actif en tant que citoyen. Je ne suis membre d'aucun parti. Je me suis réveillé très tôt pour voter à La Marsa. A 6h30 du matin, il y avait près de 150 personnes avant moi devant le bureau de vote que j'ai quitté vers 9h00. Ensuite, j'ai commencé à circuler dans le Grand-Tunis et j'ai vu que partout les gens sont contents. Le seul point noir ce sont les dépassements que j'ai malheureusement constatés. Au Kram, à Boumhel et à La Goulette, il y avait une file pour les hommes et une autre pour les femmes. Ailleurs, des partis essayaient d'inciter les gens à voter pour eux. Les membres de l'Isie ne peuvent pas être partout. J'ai tout de même vécu une journée qui restera gravée dans ma mémoire. C'est un dimanche pas comme les autres. Mourad Sakli : «…Et c'est tellement important pour nos enfants…» C'est un moment historique. J'ai été particulièrement ému en voyant la très grande affluence dans les bureaux de vote. Les Tunisiens sont conscients des enjeux qu'il y a derrière. Cela montre qu'ils ont choisi ces élections et qu'ils savent ce que c'est. Nous avons été privés de ce droit pendant des décennies. J'ai l'impression que les élections se déroulent dans un climat démocratique. J'espère que l'on saura mener ce projet à bon port. C'est un grand pas à franchir pour la Tunisie et c'est tellement important pour le futur de nos enfants. De toute façon, si les élus sont à la hauteur, ils auront notre confiance. Sinon, nous sommes désormais libres et nous ne nous laisserons plus faire.