Par Sadok BELAID(*) Maintenant que la décision réclamée par la quasi-unanimité de la population tunisienne de réunir une «Assemblée constituante» pour élaborer la Constitution de la nouvelle République a été définitivement prise, la question de savoir comment les membres de cette Assemblée vont être élus acquiert une importance primordiale : selon quel système électoral le peuple tunisien va-t-il élire ses représentants ? Le système dont la Tunisie a fait l'amère expérience au cours des dernières décennies est ce qu'on appelle le ‘scrutin de liste majoritaire à un tour' selon lequel ‘sont attribuées à la liste qui a obtenu le plus de voix tous les sièges réservés à la circonscription' (code électoral, art. 105) : système sans nuance (on n'a pas le droit de modifier la ‘liste') et brutal (la ‘liste' ‘qui a obtenu ‘le plus de voix', remporte ‘tous les sièges'). Même si cette brutalité a été par la suite atténuée par une artificieuse et humiliante application de la ‘proportionnelle', ce système a abouti à la monopolisation du pouvoir par un parti quasiment ‘unique' avec tous les abus qui ont pu en découler et à une marginalisation étouffante des partis de ‘l'opposition'. Pour ces raisons, ce système doit être écarté. Quel autre système électoral pourrions-nous alors préconiser et pourquoi ? Le système électoral que nos collègues Haykal Ben Mahfoudh et Kaïs Saied et nous-même présenterons bientôt à nos étudiants et au grand public est ce qu'on appelle le ‘scrutin uninominal à deux tours'. En quoi consiste-t-il et, pour quelles raisons doit-il être retenu pour les prochaines élections de la Constituante ? Ce système consiste à affecter uniformément un seul siège à chacune des ‘circonscriptions' et à attribuer ce siège unique (‘scrutin uninominal') au candidat qui aura obtenu au premier tour la majorité absolue des voix (51% des voix). Dans le cas où aucun candidat n'a obtenu ces 51% des voix, il sera procédé à un deuxième tour de vote où la compétition se fera entre les candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de voix (les deux, ou trois ou même quatre, candidats) et le siège sera alors attribué au candidat qui aura obtenu le plus grand nombre de voix. Le ‘système uninominal' présente une caractéristique fondamentale et qui lui donne un très grand avantage sur le scrutin de liste mentionné plus haut : les ‘circonscriptions' électorales étant relativement petites (elles sont délimitées pour faire élire un seul candidat), le ‘système uninominal' présente le grand avantage de rapprocher considérablement le candidat des électeurs et que, de ce fait, il rend le vote plus proche de la réalité politique et plus démocratique, parce que plus conforme aux choix des électeurs. C'est précisément ce système qui correspond le mieux aux objectifs des prochaines élections à la Constituante. D'abord, et contrairement au ‘scrutin de liste', il garantit une plus grande fidélité au vœu des électeurs puisque, par le rapprochement entre les candidats et les électeurs, il permet de donner une image très exacte des tendances du corps électoral. Ensuite, il permet à chacun des électeurs d'exprimer directement et de la manière la plus naturelle, les choix qui lui sembleront les plus appropriés en matière constitutionnelle et d'organisation du futur gouvernement du pays. Cette considération est très importante en raison du fait que précisément, les élections pour la Constituante sont uniques et qu'elles doivent donc être aussi proches des désirs et des priorités du peuple. En troisième lieu, ce système permet à tous les électeurs de se libérer de l'emprise importune et encombrante des partis politiques. Un fait essentiel a été mis en évidence depuis le 14 janvier : la ‘Révolution du 14 janvier' a été une révolution du peuple et une révolution spontanée du peuple (une ‘révolution sans chef'). Elle prend racine dans le fin fond de la conscience populaire et elle a été portée par cet élan vital qui lui a été inhérent. Elle n'a pas eu besoin de partis politiques, et la quasi-unanimité de la population tunisienne a exprimé sans aucune équivoque son rejet viscéral des partis politiques et des ‘professionnels' et profiteurs de la politique. L'apocalyptique disparition du RCD à la suite d'une déchéance sans appel et humiliante pour toute une génération de ‘politiciens' corrompus et qui ont déçu toute la nation, a montré que le peuple a résolument décidé de prendre en main son propre destin, par lui-même et sans aucune tutelle ni aucune médiation, et de le façonner selon ses choix propres, en commençant d'inscrire directement ces derniers dans sa future Constitution, de la manière la plus pure, la plus sereine et la plus fidèle. Le peuple tunisien a montré sa détermination à sauvegarder sa révolution et à éviter qu'elle ne soit instrumentalisée par aucune faction ou aucun parti. Il entend mener jusqu'au bout sa révolution et en consacrer les objectifs fondamentaux dans une Constitution qui émanera directement et sincèrement de sa volonté. Pour cela, il faut qu'il fasse le bon choix en matière électorale en éliminant radicalement les systèmes électoraux qui ont démontré leur nocivité et leur antidémocratisme, comme cela a été le cas avec le ‘scrutin de liste majoritaire', quelle qu'en soit la version. Le ‘système uninominal majoritaire à deux tours' est le seul système électoral qui lui permette d'exprimer sa souveraineté plénière en matière d'élections constituantes, et de mettre en place les fondements d'une véritable démocratie participative, qui sera la spécificité de la «Révolution du 14 janvier». * Ancien doyen de la Faculté de droit de Tunis