Un petit village, quelque part entre l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. La nature y est aussi belle que rude. C'est dans ce cadre que le cinéaste français, Radu Mihaileneau place les personnages de son dernier opus La source des femmes, présenté en avant-première par l'IFC au Colisée à Tunis, avant-hier, en même temps qu'à Lille. Ces personnages, il faut bien en distinguer le masculin du féminin. En effet, comme dans tout village situé dans cette partie de la Terre, semble nous dire le réalisateur, les femmes sont chargées, outre les tâches ménagères ingrates, de ramener l'eau de la source la plus proche, souvent située à des kilomètres de leur agglomération. A cause de la sécheresse, les hommes ne travaillent plus. Ils passent leur temps à siroter du thé dans l'unique café du village et à papoter entre eux. Leur pouvoir décisionnel sur leurs épouses reste lui, intact. On en comprendra, tout au long du film, les raisons : traditions désuètes et pesantes, interprétations machistes des Versets coraniques et éducation de résignation pour les jeunes filles, que l'on garde illettrées exprès. Mais le plus dur pour ces femmes, c'est de trébucher sur le chemin de la source avec leurs seaux remplis d'eau et les fausses couches, à cause de la chute. La plupart ont perdu, ainsi, la moitié de leurs bébés en devenir. Le vieux fusil, une veuve au caractère bien trempé — rôle campé par l'actrice algérienne Biyouna—, le rappelle à chacune dans une scène au hammam. Elle le fait pour soutenir Leïla (Leïla Bekhti), jeune mariée sans enfants, la seule de surcroît qui sait lire et écrire, quand cette dernière appelle les femmes à faire la grève de l'amour. Acte de protestation par lequel elle espère amener les hommes à aller à la source à la place de leurs femmes. Une vraie révolution. Mais le chemin s'avère plus rude que celui qui mène à la source. Leïla, qui est secrètement soutenue par son mari, l'instituteur du village qui ne manque pas, lui non plus, d'esprit révolutionnaire, doit faire face à la haine de sa belle-mère, à l'hésitation des femmes, intimidées par des maris de plus en plus magouilleurs, voire violents. Ruse pour ruse, les femmes gagnent du terrain et de l'assurance. Leïla réussira même à rallier l'imam à sa cause. En essayant de la raisonner, son beau-père lui rappelle que les hommes avaient, autrefois, tenu tête à l'occupant. «Ils étaient des chevaliers», lui répond-elle. Avec les autres femmes, elles ont déclaré la guerre en refusant de faire l'amour. Cette guerre va proliférer et prendre plusieurs formes: conflit de générations, combat contre l'extrémisme religieux... avant de baisser les armes, quand ses échos titilleront les oreilles des hauts placés. L'eau sera désormais installée au village. Les femmes n'auront qu'à descendre à la place publique pour en chercher, sous le regard des hommes, depuis leurs chaises au café. Dans les yeux des femmes, on peut lire que le combat n'est pas fini. A la rencontre du conte et du récit réel, La source des femmes épouse les formes et les couleurs des gens et de la région qu'il dépeint. Il revisite les traditions, sous leur beau visage, celui des habits et des chants, comme il pointe du doigt leur incapacité à se renouveler, à se remettre en question. La source des femmes a valu à Radu Mihaileneau cinq nominations à Cannes. C'est un film qui dérange, que l'on soit homme ou femme, surtout dans le contexte précis de ces élections et de ce qu'elles ont révélé.