Le centre de rééducation des mineurs délinquants de Gammarth abrite une trentaine d'enfants, âgés entre 13 et 18 ans, issus du Grand-Tunis. Transférés au centre par ordre juridique, certains d'entre eux sont encore en phase d'arrestation alors que d'autres ont déjà été condamnés à la rééducation. Dans le cas des enfants délinquants, la rééducation rime avec punition, claustration. La «prison pour enfants» se déguise en un «centre de rééducation». Dure réalité et inéluctable mesure pour des enfants qui, malgré leur immaturité naturelle, leur fragilité physiologique et psychologique et malgré la lueur d'innocence qui domine leur regard et leurs apparences, ont commis, par préméditation ou par erreur, par excès de zèle ou par pure ignorance, des vols, des cambriolages, des agressions absurdes, des abus sexuels, des meurtres. Certains sont arrêtés pour consommation ou trafic de stupéfiants. D'autres pour un crime fort à la mode ces temps-ci, à savoir la falsification des billets de banque. Le centre de rééducation ouvre ses portes pour recevoir des enfants qui ont tout l'air d'enfants normaux mais à une différence près: leur casier judiciaire est loin d'être vierge. Dans le centre de Gammarth, le phénomène de la délinquance juvénile suit une courbe décroissante. Il y a quelques années, le nombre des enfants incarcérés excédait les 200. Actuellement, ces enfants ne sont qu'une trentaine. Cette régression relève de plusieurs facteurs dont le passage de classe automatique et, donc, la baisse du taux de déscolarisation et la prise en considération des droits de l'enfant. «Nous sommes conscients que nous avons affaire à des enfants qui ont commis des délits. Toutefois, ces enfants restent des enfants. Notre mission s'avère pluri-dimensionnelle. Elle consiste, en gros, à les rééduquer. Mais elle acquiert, au fond, une portée plus complexe, incluant à la fois la prise en charge psychologique, éducative dans le sens comportemental mais aussi social et de formation tout en étant fondée sur l'esprit disciplinaire», explique M. Farid Bouraoui, directeur du centre de rééducation des enfants délinquants de Gammarth. Admettre sa faute, comprendre sa punition La démarche correctionnelle commence dès l'arrivée de l'enfant. En franchissant le seuil du centre, l'enfant est directement accueilli au bureau pénal. Là, on lui explique l'ampleur du délit qu'il a commis, son illégalité, ses répercussions sur son statut et le rapport de cause à effet qui lie son accomplissement à l'incarcération. «Il ne faut jamais oublier que l'enfant est transféré contre son gré. Apeuré, traumatisé par ce qu'il a commis, il éprouve le besoin d'être rassuré», souligne M. Bouraoui, qui ajoute: «Nous informons, aussitôt, sa famille de son transfert au centre. C'est que certaines familles ignorent l'endroit où se trouve leur enfant. Parallèlement, l'enfant est soumis à une consultation médicale afin de s'assurer de son état de santé. Il est reçu chez la spécialiste en psychologie pour le rassurer, lui faire comprendre qu'il sera privé de liberté en guise de punition, mais aussi pour déceler d'éventuels problèmes psychologiques. Le sociologue intervient pour avoir une idée sur l'environnement social de l'enfant et prendre connaissance du contexte qui aurait favorisé sa délinquance», indique M. Bouraoui. Une fois incarcéré, l'adolescent entre dans une logique disciplinaire tout à fait nouvelle. Loin de sa famille, entouré d'un cadre éducatif chargé de lui inculquer les principes d'un mode de vie à dominante responsable, il apprend à se conformer à la réglementation générale et spécifique, à faire preuve de responsabilité et de self-control et à progresser dans une initiation comportementale à même de lui permettre de reprendre, avant l'heure, le chemin du foyer familial. Le cadre éducatif consacre le premier mois à l'observation et au décryptage des réactions, des réflexes et du comportement spécifique de l'adolescent. Ensuite, chaque éducateur élabore un rapport. «Nous élaborons, tous les six mois, un rapport d'observation que nous déposons au juge d'enfant afin de l'informer sur l'évolution comportementale de l'enfant. Lorsque le rapport s'avère favorable, nous sollicitons le juge afin de réviser la condamnation et d'alléger la peine», souligne le directeur du centre. Facteurs sociaux à retombée psychologique La prise en charge psychologique occupe ainsi la part du lion dans cette démarche. Le directeur du centre affirme que le cadre éducatif a reçu une formation spécialisée dans le traitement avec des enfants. Il est appelé à aider l'enfant à forger sa personnalité, à acquérir de nouveaux réflexes, à modérer ses pulsions et à limiter les failles. Pour ce, il accompagne l'enfant 24 heures sur 24. Parallèlement, la prise en charge psychologique proprement dite est fondée essentiellement sur l'écoute. Mme Inès Garbaâ, psychologue au centre depuis six ans et qui se charge de l'accueil psychologique des enfants, nous donne une idée sur le premier contact avec les enfants: «Dès leur arrivée, j'explique aux enfants qu'ils seront privés de liberté pour avoir commis un délit. Je tente de les rassurer et de les préparer à un système de vie bien précis. Encore sous le choc, certains me livrent spontanément la raison ou le prétexte du crime commis. Les voleurs avancent généralement l'argument de la pauvreté, du manque d'argent. D'autres nient carrément leurs actes». Au fur et à mesure, la psychologue finit par déceler des troubles comportementaux et parfois même des pathologies psychiatriques. Dans le premier cas, il s'agit le plus souvent de séquelles psychologiques dues à des problèmes familiaux ou sociaux, tels que le divorce, la démission parentale, la pauvreté, etc. «La majorité des enfants transférés au centre sont issus de milieux défavorisés. Pour comprendre leurs personnalités et les raisons profondes de la criminalité, il est impératif de revenir sur l'historique de la famille», souligne la psychologue. Et d'ajouter que certains ados sont tellement démunis qu'ils récidivent afin d'être transférés à nouveau au centre et bénéficier d'un toit sûr pendant l'hiver. «C'est pourquoi nous contactons la famille et nous tâchons de trouver des solutions aux problèmes que vit l'enfant dans son milieu familial et social. D'ailleurs, nous travaillons en collaboration avec certaines associations de défense sociale pour assister l'enfant une fois libéré du centre», indique Mme Garbaâ. Toutefois, la solution de priorité dans cette démarche consiste à réconcilier l'enfant avec sa famille et essayer de recoller les morceaux d'une relation lésée par l'indifférence, par une vie dure à mener. Cette mission est loin d'être facile à réaliser. Selon les données fournies par M. Bouraoui, certaines familles refusent de venir voir leur fils. «Cette réticence est décelable surtout chez les pères qui éprouvent de la honte à cause du délit de leurs enfants. Dans d'autres cas, ce sont les enfants eux-mêmes qui refusent de voir leurs familles, convaincus que le mal provient de l'irresponsabilité de la famille et des problèmes trop durs à supporter pour un enfant», explique le directeur du centre. Dans pareils cas, l'éducateur joue le conciliateur. Il tente de rappeler à chaque partie ses droits mais aussi ses devoirs envers l'autre. «Il y a des familles qui trouvent des difficultés à se rendre jusqu'au centre. Nous nous chargeons, dans ce cas, de leur assurer le déplacement», renchérit M. Bouraoui. Un métier pour l'avenir Par ailleurs, l'évolution comportementale passe également par l'apprentissage. Le cadre éducatif place les adolescents face à de multiples épreuves. Respecter l'emploi du temps d'un centre de rééducation n'est pas chose facile pour un enfant qui a des problèmes juridiques, qui se trouve éloigné de sa famille, privé de liberté et en proie, à la fois, à un malaise psychologique et à une crise d'adolescence. Pour échapper à ces tourments, un programme pédagogique a été conçu pour aider les enfants délinquants à suivre leurs études et à apprendre un métier susceptible de les aider à gagner, désormais, leur vie. Pour ce qui est des cours, ils relèvent d'un niveau standard comptant des matières basiques comme la physique, la biologie, les matières sociales et littéraires. «Certains enfants sont déscolarisés. Ces modules leur permettent d'acquérir une culture générale», ajoute M. Bouraoui. Par ailleurs, plusieurs ateliers de formation professionnelle, comptant de nombreuses spécialités comme la menuiserie, la mécanique et autres, sont proposés. «La formation professionnelle permet aux enfants d'apprendre un métier et de décrocher un diplôme délivré par le ministère de tutelle», renchérit le directeur du centre. D'un autre côté, et afin d'égayer quelque peu les journées des enfants, un programme culturel et d'animation est à l'ordre du jour: télé, radio, informatique, sport et colonies de vacances estivales.