En attendant la tenue, mardi 22 novembre, de l'Assemblée nationale constituante et alors que nos élus s'empressent de bricoler une future configuration gouvernementale pour le pays, nos constitutionnalistes recadrent l'ambition et remettent les pendules à l'heure... du droit. Un projet de règlement interne pour l'Assemblée nationale constituante à laquelle ils sont élus, et des garanties pour sa démocratie intérieure, voilà le cheval de bataille immédiat du Centre du droit constitutionnel pour la démocratie (Cdcd) qui organisait vendredi une toute première tribune où l'esprit constitutionnel reprenait ses droits sur la surexcitation politique. Pour une Tunisie qui a traversé un désert d'inconstitutionnalité, et qui craint fort que la raison politique ne prenne de nouveau le dessus sur l'esprit du droit, la première activité publique du Centre tunisien du droit constitutionnel pour la démocratie sonne comme un éveil. En démocratie, il y a le pouvoir et les contre-pouvoirs et, parmi les contre-pouvoirs, ceux de la société civile sont particulièrement souverains quand ils émanent des lieux académiques du droit. Par la recherche, les publications, le débat constant et le droit de regard assidu sur la conformité de la chose politique à l'esprit constitutionnel, le centre, récemment créé, tend à faire école, comme partout dans le monde où la démocratie n'est pas un vain mot. En collaboration avec l'Ecole doctorale de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, sa première tribune venait à point nommé remettre les pendules politiques à l'heure du droit constitutionnel. L'architecture du pluralisme dessinée par Kaïs Saïed Présentée par Pr Kaïs Saïed, une minutieuse feuille de route propose une sorte d'architecture intérieure pour la Constituante qui commence par le commencement : les modalités inédites de la tenue de sa séance inaugurale. «Il est fondamental de fixer les modalités de cette première réunion qui sera le point de départ de tout ce qui adviendra au sein de la Constituante...», soutient le constitutionnaliste, rappelant, néanmoins, qu'il faudra attendre l'annonce et la publication des résultats définitifs du scrutin du 23 octobre pour que l'actuel président intérimaire provoque, par décret, cette réunion, fixe sa date et son lieu, et ce, suivant les termes de la déclaration de la transition démocratique. Kaïs Saïed commence par poser cette question hallucinante : «Que feront nos élus dès lors qu'ils seront à l'intérieur de l'enceinte ? Comment agiront-ils ? Qui fera quoi ?...» Et le constitutionnaliste de répondre, s'adossant aux us et coutumes, en l'absence des textes. Et la coutume constitutionnelle prévoit de charger le doyen des élus de la présidence de la séance et le cadet de la vice-présidence. Ce qui n'empêche pas Pr Saïed d'innover : à la vice présidence, je propose la plus jeune des 40 élues femmes. L'opération inaugurale exigeant le plus grand consensus, il sera tout aussi préférable d'éviter le vote pour désigner un bureau provisoire : six membres dont trois parmi les plus âgés et trois des plus jeunes... La feuille de route du Pr Saïed ne s'arrêtera pas pour autant en si bon chemin. Du règlement provisoire de la réunion inaugurale au règlement interne permanent de la Constituante, il n'y a en fait qu'un fil imperceptible que le constitutionnaliste déroule dans le moindre détail. Comment élire le président «permanent» de la Constituante (candidature ouverte à tous les élus)? Sur quelle majorité (en l'absence d'une règle instituée à ce stade) ? Et en cas d'absence de majorité ? Premier et second tour, avec majorité représentative ou absolue. L'orateur a réponse à tout : l'élection des deux vice-présidents, des deux questeurs chargés de l'intendance financière et administrative, les formations par appartenance politique et par alliance dont les listes doivent faire l'objet d'une déclaration adressée au président... Suivra la désignation de deux commissions: l'une chargée de préparer le règlement interne de la Constituante et l'autre de rédiger la loi portant organisation des pouvoirs publics (seul cadre où devraient être réparties les futures responsabilités). Un représentant de chaque formation doit figurer comme membre dans chacune de ces commissions tenues de soumettre au président de la Constituante des projets de textes et des rapports de travaux ... Quotas, majorités, démocratie des minorités et travaux en live «Au-delà des résultats du scrutin, l'Assemblée nationale constituante, première Assemblée multicolore de notre histoire, doit refléter son pluralisme au plus profond de ses mécanismes et son fonctionnement intérieurs». Détails pointus de grande technicité et de haute précision certes, mais conséquences fondamentales sur l'équilibre des forces à l'intérieur de la Constituante, la qualité des débats, la formation du gouvernement et l'élaboration de la Constitution... Selon quelles dispositions les élus seront-ils assis ? Prêteront-ils ou non serment ? Les travaux de la Constituante seront-ils publics ?... Pas très favorable au serment constitutionnel qui «rassure mais n'est pas forcément garant de crédibilité», Kaïs Saïed plaide toutefois en faveur d'une médiatisation totale en live des débats de l'assemblée générale et à deux tiers des membres pour les travaux des commissions. A propos des coulisses du futur gouvernement, il précise : «Les choses se passent à un niveau politique auquel il manque un cadre légal, et c'est pourquoi les négociations actuelles n'impliquent que leurs auteurs. Le dernier mot reste celui de l'assemblée générale de la Constituante, en fonction de la majorité appliquée...». Mais quels quotas et quelle majorité adopter sur la voie du pluralisme et en vue d'éviter le retour aisé à l'hégémonie ? Dans son intervention «Quotas et majorité», la constitutionnaliste Rachida Ennaïfer précise que ceux-ci diffèrent selon que les attributions de l'Assemblée soient constituantes ou non constituantes, telle l'organisation des pouvoirs publics. Dans les deux cas, elle défend l'idée d'un modèle qui consacre la démocratie des minorités contre la démocratie de la majorité. «Tous les membres de la Constituante doivent; d'une manière ou d'une autre, contribuer par la discussion, la décision et le vote à l'organisation des pouvoirs publics, au contrôle des prestations du gouvernement et surtout à l'élaboration de la Constitution, statut pérenne de l'Etat». Kaouther Debbache et Nidhal El Mekki ont chacun de son côté fait lecture minutieuse de leurs conceptions juridiques du travail au sein de la Constituante. Du reste, il y aurait des alliances et des dissidences comme on en a déjà vu du côté de «la Pétition». Il y aurait peut-être aussi des essais et de possibles morts politiques en raison de délit électoral que la Cour des comptes révélerait. Il y aurait éventuellement des boycottages comme en promet déjà le PDP… Autant de cas de figure en perspective auxquels il faudra, selon les constitutionnaliste, se préparer, réponses réglementaires à l'appui...