L'artiste est-il condamné à peindre la même chose, répéter et se répéter ? Gianni Casari aborde l'art autrement, il touche à beaucoup de matières, des céramiques, de la peinture, de la photo, des assemblages, des dessins. Et de belle façon ! Et il approche plusieurs sujets: les églises, les personnages, les lettres de l'alphabet, les portraits, les figures humaines. A Cherif Fine Art à Sidi Bou Saïd, il expose quarante-huit œuvres dont la plupart sont baignées par la lecture, les romans, les grands auteurs. «Il me vient à l'idée de passer à l'acte de peindre ou de construire une œuvre quand un roman, des citations m'habitent», indique-t-il. C'est clair et cela se répercute dans ses œuvres: son art est une sorte de chronique à regarder, à lire. Gianni Casari est Italien, il a longtemps enseigné la peinture à Vérone, sa ville de naissance, les vents l'ont amené à Djerba où il vit depuis des années, heureux comme un artiste dans une île. C'est sa 3e exposition dans la même galerie, ses tableaux, disons plutôt ses travaux, ne sont pas conquérants ni grandiloquents, des œuvres modestes mais exécutées avec exactitude, ciselées avec une perfection qui dénote clairement le savoir-faire de l'artiste, son apprentissage académique. Mais il ne s'arrête pas à la technique. Habité par les personnages Une vue d'ensemble nous plonge dans un univers littéraire, des tableaux aux trois quarts remplis de phrases et une partie où l'on voit le cliché le plus connu de l'auteur. Aussi découvre-t-on le portrait d'Oscar Wilde, dandy homosexuel qui heurta le conservatisme de la société anglaise victorienne, à l'aise dans son manteau de fourrure, une grenouille sur l'épaule gauche, le bas du tableau est rempli d'une foultitude d'étiquettes de marque de pantalons, de vestes, de chemises et autres vêtements, le dandy est là dans l'apparence. «Il n' y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les apparences. Le vrai mystère du monde est le visible, et non l'invisible», dixit Wilde. A voir ce que la mode offre comme marques (apparences), on réfléchit à la justesse de sa prophétie. Fernando Pessoa, l'écrivain culte du Portugal, est présenté dans la photo connue, un melon, des binocles, des moustaches bien taillées, graves, noires, et l'air d'être dans son «intranquillité» souveraine. Le tableau est divisé en deux, des phrases du poète philosophe généreusement colorées, du noir et blanc pour le portrait de l'homme qui prétend avoir écrit «Une Autobiographie sans événements», «le poète que rien ne satisfait». «S'il existait en art la profession de perfectionner , j'aurai eu dans la vie une fonction véritable...». Pessoa que nous conseillons de lire sans restriction. Le livre de l'intranquillité est fourni en aphorismes sur l'art et l'art de faire. Un autre romancier, un Nobel figure dans l'exposition: Boris Pasternak, célèbre par le «Docteur Jivago». Une partie du tableau le montre les cheveux blancs au vent, il regarde le ciel, l'autre partie est un ensemble de signes, de la littérature. Marguerite Yourcenar occupe un pan d'un autre tableau, son personnage, Hadrien, l'accompagne. «Mes premières patries ont été mes livres», disait –elle dans Les Mémoires d'Hadrien. Un autre Nobel, Naguib Mahfoudh, est représenté par une multitude de figurines en pierre «ramassées sur la plage», nous dit Gianni, des tiroirs de dimensions différentes, les personnages du vieux Caire sont placées dans trois coffrets en verre en référence à sa fameuse Trilogie. Et tout est à l'avenant. Des petites sculptures en pierre, des couples enlacés sur socle, des parvis d'église pleins de personnages lilliputiens, des figures en mouvements, des photos avec légendes, des tableaux brodés...Pourtant ce n'est pas ce que vous pourrez penser. C'est une exposition d'art. Détail d'importance, Gianni Casari nous indique que toute la recette des ventes sera versée à une famille nécessiteuse de Djerba. Généreux Gianni.