Spécialiste de la photo arabe et moyen orientale, la Tunisienne Michket Krifa, qui vit et travaille à Paris, dirige avec Laura Serani la Biennale africaine de la photo depuis 2007. Rencontre. L'exposition panafricaine rassemble, sous le même toit, 55 artistes entre photographes et vidéastes. Comment trouver le fil de la cohérence, lorsqu'on monte un projet de cette échelle ? La sélection est très lente. On fait une première sélection que nous resserrons au fur et à mesure. Elle se fait sur la base du critère thématique et également esthétique des projets. Le texte que nous envoyons aux artistes sur le sujet choisi pour l'exposition panafricaine leur donne des repères. Ce texte doit être assez ouvert pour ne pas bloquer les photographes et les vidéastes. Nous avons ainsi voulu que, pour la présente édition, dont le thème est : «Pour un monde durable», les artistes ne s'arrêtent pas sur les aspects écologiques, mais les dépassent vers des dimensions plus sociales, politiques et même intimistes. Il s'agit ensuite de trier chez les artistes retenus 5 à 8 photos à montrer, tout en rendant à travers cette construction le regard ou le message du créateur. Choisir le format de l'œuvre est également d'une importance capitale pour nous. L'étape suivante consiste à trouver le fil de la narration qui nous permet de transmettre l'idée d'une évolution, d'une marche. Nous travaillons avec un scénographe qui construit ses plans en fonction de l'histoire que nous voulons narrer. Qu'est-ce qui vous interpelle dans la photo africaine? Je me considère tout d'abord comme africaine. Si je voulais comparer avec la photo arabe, que j'apprécie également beaucoup, je dirais que rarement on y rencontre des éléments, comme le rapport à la matière, à l'eau ou à la terre, aussi profondément enracinés. A moins d'être soufi, cette spiritualité et cette sacralité de l'univers, je ne les ai observées que chez les Hindous. N'est-il pas trop tôt pour exposer les révolutions arabes qui font encore partie de l'actualité ? J'ai vécu la révolution tunisienne à distance : à travers la télé, Facebook et Internet. J'ai suivi, comme tout le monde, les aventures animées de Kaptain Bou Khobza, les caricatures de Willis from Tunis, toutes les photos qui ont marqué ces moments forts où les Tunisiens ont montré un sens incontestable du courage, de la résistance et de la dignité. La jeunesse, que nous avons vu manifester sur l'avenue Bourguiba, était belle et vivante. On ne peut ne pas honorer tout cela. Nous avons gardé à travers les expositions sur les printemps arabes la fibre émotionnelle de ces événements. La distance viendra après...