C'est pour la troisième année consécutive qu'un espace culturel tunisien reçoit la célèbre exposition annuelle du World Press Photo. Une centaine d'images sélectionnées et primées par un jury international d'experts en photojournalisme sont actuellement présentées à Mad'art Carthage Des clichés poignants, tragiques, résument toute la misère du monde: prostitution de mineurs, émigration clandestine, séismes, famine, morts violentes, familles accablées par un deuil, par la misère, la démence et la maladie, survivants de guerres, de déchirements ethniques ou de tremblements de terre, blessés, solitaires, désespérés…Un inépuisable fond de souffrance humaine à vous couper le souffle ! On est également frappé par la richesse des légendes qui situent très bien les images dans leur contexte historique et géographique. Les légendes aident également à comprendre les processus narratifs utilisés par exemple dans les séries sur l'imagerie iconique de guerre revisitée et mise en scène avec des figurines (Li Jie Jun-3e Prix portraits reportages), dans le reportage sur cette mère célibataire américaine de sept enfants ( Brenda Ann Kenneally — 1er Prix vie quotidienne. Reportages) ou encore dans la série de portraits de Rajiha Jihad Jassim, une femme irakienne attendant toujours son mari kidnappé à Bagdad depuis 2006 (Youri Kozyrev —1er Prix portraits)… Mars 2008. L'officier de police Robert Kole se trouve dans une maison d'un quartier de Cleveland (Etats-Unis) dont les habitants ont été expulsés suite à la crise des «subprimes». Des pilleurs ont dû visiter les lieux avant son passage…En uniforme et en position d'attaque, il braque son arme face à une porte. Le photographe américain Anthony Suau saisit ce moment-là qui sème la confusion chez le spectateur : les «criminels» cette fois-ci ne sont coupables que du seul fait de ne pas pouvoir payer leurs factures. La photo, rappelant une scène de séries policières américaines, est en noir et blanc. Publiée au Times Magazine, elle est élue «photo de l'année 2009». Selon le jury, la grande photo de presse devrait encourager le spectateur à réfléchir et soulever autant de questions que fournir des réponses. «Cette photo est inquiétante. Une nouvelle guerre. Une guerre économique est venue envahir nos vies et nos maisons», reconnaît le jury. Le World Press Photo prime depuis 1955 à Amsterdam (Hollande) des photoreporters du monde entier. Il tend par sa réputation à fixer les codes et canons du métier. Chaque année, en février, un jury composé de treize personnalités de la presse mondiale se réunit pour sélectionner parmi les milliers de photos reçues celles qui font le plus de sens et qui proposent un regard qui reste, malgré des informations souvent terrifiantes, esthétique. L'année 2009, 5.508 photographes de 124 nationalités ont participé au concours. Les travaux retenus — images single (isolées) ou en séquences, déclinées en séries sur un même thème — sont répartis en dix catégories bien distinctes : photo de l'année, information générale, protagonistes des faits divers, portraits, sport, arts et spectacles, nature… Le prestige qui auréole la photo de l'année semble aussi grand qu'un Nobel du métier. Elle est vue par plus de deux millions de personnes grâce, notamment, à l'exposition qui tourne dans cinquante pays. Mais aussi grâce à tous ces espaces dans les revues, livres et sites qui lui seront consacrés. «Comment peut-on croire que le photojournalisme se meurt ? Il vit une période de croissance extraordinaire sur de nouveaux marchés, de nouvelles cultures et dans de nouvelles formes de médias. Les images d'informations n'ont jamais été aussi immédiates, vitales, si facilement accessibles et omniprésentes», relève encore le jury. Parallèlement à la très belle exposition qui se déroule à Mad'art Carthage jusqu'au 28 mars (courez-y journalistes, spécialistes de l'image, étudiants des écoles des Beaux-arts et de cinéma), un work shop sur le thème «La face cachée de la vie quotidienne en un clic» a été organisé les 12, 13 et 14 mars par l'organisation du World Press Photo dans le même espace. Il s'agit là d'un concept devenu rituel. A chaque fois que l'exposition passe par un pays, un groupe de photographes en herbe locaux est invité à assister à un stage de formation en photojournalisme. Rêvons qu'un jour un jeune photographe tunisien curieux et passionné par les bruits du monde décroche un des prix du World Press Photo…