Des fictions qui nous ramènent à ces périodes reculées de l'histoire de la Tunisie, du temps où les Carthaginois dominaient les mers ainsi que de larges parties du territoire sur le littoral tandis que, vers l'ouest, s'étendaient des royaumes berbères, on en manque cruellement. La littérature occidentale n'a pas hésité à explorer des traditions étrangères dont elle s'est approprié l'héritage. Dès la Renaissance, le monde de l'antiquité gréco-romaine en particulier a été investi. Dans le même temps, l'histoire de la période païenne a été revisitée dans les différents pays européens, avec ses «sagas» et ses mythologies germaniques... Un compositeur comme Wagner en a fait d'ailleurs la source de ses créations musicales. Cette histoire a été débarrassée progressivement de ce voile de mépris dont l'Eglise l'avait recouverte pour s'imposer durant les siècles du Moyen-âge. Certes, ceux qui ont contribué à cette résurrection n'avaient pas toujours les mêmes motivations. Mais le résultat est quand même une réappropriation du passé en profondeur, aussi bien à travers le prisme de l'archéologie qu'à travers celui de la production littéraire et artistique. Quant à nous, le terrain demeure presqu'entièrement à défricher. Des tentatives comme celles de Flaubert ne sauraient nous satisfaire car elles s'inscrivent dans le mouvement de courants littéraires qui nous sont étrangers, même si la langue française en laquelle le texte de Salammbô a été écrit fait désormais partie de notre héritage, quoi qu'on en dise. Des tentatives existent cependant, et le livre que vient de signer Ridha Ben Slama, Le Songe Massyle, en est une qui est fort honorable : elle offre au lecteur un récit vivant qui le transporte dans cette période préislamique et préromaine qui est celle du roi berbère Zilalsen, fondateur de la dynastie numide dont sont issus les Massinissa et autres Jugurtha. Nous sommes donc au troisième siècle avant l'ère chrétienne. L'histoire se présente sous la forme d'un témoignage. C'est Jugurtha, alors jeune adolescent, qui enfourche son cheval et franchit la muraille de la cité de Vaga (Béja) pour aller retrouver le sage Atebane, qui est son maître et dont il tient la promesse de se faire raconter la légende de son illustre ancêtre... On regrettera à ce propos que l'auteur n'ait pas songé à cette sorte de respiration qui consiste, au fil des chapitres, à nous remettre dans le contexte de cet échange entre un jeune de sang royal et son maître spirituel, avancé en âge : peut-être cela aurait-il conféré plus de vérité au ton du récit... Une chose est sûre, cependant : celui qui lit cet ouvrage en sort chargé d'une somme de connaissances qui ne se rapportent pas à un pays étranger de par-delà les mers ou les déserts : c'est bien du nôtre qu'il s'agit, de cette Tunisie dont la terre soutient nos pas au quotidien et qui abrite en son sein, comme le jeune Jugurtha, nos ancêtres aussi. Ces connaissances acquises ne sont pas celles dont on a le sentiment qu'elles élargissent une culture générale : ce sont celles à propos desquelles on se dit qu'il y a longtemps qu'on aurait dû les avoir et que, enfin, le tort est réparé. D'autant que le contenu du récit respire la sagacité et l'héroïsme.