Par Rafik BEN HASSINE Vous connaissez tous El Haouaria ? C'est une charmante petite ville de 10.000 habitants, située à l'extrémité Nord-Est du Cap Bon (entrée du golfe de Tunis). Elle se situe à 120 kilomètres de Tunis et à 80 kilomètres de la Sicile. Son emplacement géographique, son «relief (géomorphologie)» relief contrasté et son climat doux et tempéré en font un refuge de prédilection pour une multitude d'oiseaux migrateurs. Les Romains surnommeront d'ailleurs l'endroit Aquilaria ou «pays de l'aigle». Chaque printemps, 40.000 rapaces de 24 espèces différentes, mais aussi des milliers de cigognes et d'autres oiseaux plus petits, font halte à la pointe du cap avant leur traversée de la mer Méditerranée. C'est tout naturellement que les familles d'El Haouaria développent un art de la fauconnerie remontant à l'époque antique comme en témoignent certaines mosaïques exposées au Musée national du Bardo. Le savoir-faire en matière de dressage des rapaces, capturés au mois de mars, est transmis de génération en génération. L'Association des amis des animaux, créée en 1975, mène un efficace travail de sensibilisation de la population à la protection des oiseaux et plus spécialement des rapaces. L'incident. Accompagné d'amis étrangers européens et américains, venus en touristes, nous nous sommes installés, en ce dimanche 20 novembre 2011, à la terrasse magnifique d'un restaurant réputé. Je connaissais ce restaurant depuis fort longtemps, et il est recensé et bien noté par les différents guides touristiques. Au moment de la prise de commande des boissons, notre restaurateur nous répondit d'un air quelque peu gêné : «Nous ne servons plus de boissons alcoolisées». Etonné, je lui demandais des explications, discrètement (car je commençais à subodorer la réponse) et en arabe. Sa réponse a été que, depuis la victoire des khouanjia aux élections, ceux-ci sont venus les sommer de ne plus servir de vin ou de bière, sous peine de graves représailles. Ceci nous rappelle les méthodes de l'ancien régime, où des lois existent, mais on vous en impose d'autres, par des méthodes de type mafieux. Réaction de mes amis étrangers : mon pauvre ami, les Tunisiens sont tombés de Charybde en Scylla. Comme nous étions en face de la Sicile, ce proverbe est vraiment pertinent. En effet, entre la Sicile et la botte italienne, il y a le détroit de Scylla et de Charybde, deux écueils opposés et redoutables. Charybde est du côté de la Sicile, et près de Messine; Scylla du côté de l'Italie, au bord de la Calabre. Charybde est un gouffre vaste et profond, dans lequel la mer s'enfonce en tournoyant avec une rapidité qui ne permet pas aux vaisseaux de résister, ni de revirer de bord. Scylla est un rocher menaçant au pied duquel sont plusieurs autres rochers et des cavernes souterraines, où les flots se précipitent ; on les entend mugir de loin. En approchant, le bruit redouble. Si le pilote effrayé, en voyant d'un côté des rochers contre lesquels il va se briser, et de l'autre un gouffre où il va se perdre, ne garde pas un juste milieu, il ne se sauve d'un rocher que pour se jeter dans un abîme. Moralité de l'histoire. Ce dont nous souffrons le plus, c'est de notre impuissance à préparer cet autre monde auquel nous aspirons. Nous avons beau en appeler à La Boétie qui affirmait que les peuples qui ne résistent pas aux tyrans n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes, nous sommes prisonniers d'une mentalité de soumission aux diktats mafieux, tout comme les Italiens du sud, qui, voulant échapper à la Mafia, tombent sous la coupe de la Camorra. Nous n'arrivons pas à nous reconvertir et à redonner vie à la démocratie qui n'a certes jamais été adulte mais qui, à présent, agonise en pleine enfance.