De notre envoyé spécial au Caire Slaheddine GRICHI Un beau soleil automnal inondait, hier matin, Le Caire, succédant à une nuit particulièrement et inhabituellement pluvieuse. Mais ce n'est certainement pas sa douce chaleur qui a décidé les Egyptiens à aller voter en masse, puisque, à Alexandrie par exemple, où les averses n'ont pas cessé de toute la matinée, les citoyens étaient tout aussi nombreux à se rendre dans les bureaux de vote. Une victoire du haut Conseil des forces armées et de l'Etat qui a maintenu les élections, malgré le désir et l'appel d'une bonne partie des animateurs d'«Ettahrir» à boycotter la première partie de ces élections démocratiques du Parlement ? Nous serions plutôt tentés d'avancer que c'est là la victoire de la «masse silencieuse» du peuple égyptien qui a tenu à s'exprimer pour des noms et des listes, que dans sa majorité, elle ne connaît pas vraiment. Dépassements Donc, hier et aujourd'hui, les électeurs de neuf gouvernorats (mouhafadhat), à savoir le Caire, Alexandrie, Doumiat, Al Fayoum, Louxor, Assiout, Al Bahr Al Ahmar (la mer Rouge), Port Saïd et Kafr Echeikh, éliront 168 de leurs représentants au Parlement qui devront — en partie — attendre le deuxième tour qui aura lieu la semaine prochaine. Bien avant 8h00, les files s'étiraient hier matin, au Caire, devant les centres de vote, séparées selon le sexe, hommes et femmes. La présence efficiente des militaires et des policiers a permis un déroulement normal de l'opération, même si nous avons relevé — les quelques observateurs aussi — des dépassements devant et à l'intérieur des écoles «réquisitionnées» bureaux de vote. Dans l'étroite rue El Nabrawi par exemple, où se situe l'école technique Talaât Harb, tout près de la fameuse place qui porte le même nom, des représentants de deux listes, dont les Salafistes, et de trois indépendants ont voulu nous refiler des flyers de leurs candidats. Plus encore, devant la salle même du vote dans la cour de l'école, un homme distribuait les affichettes d'un candidat, avec son logo. Et ce n'est qu'après notre intervention, grâce à notre accréditation, que l'officier de police est timidement intervenu. Ces dépassements ont, d'ailleurs, été reconnus par le juge Abdelmoez Ibrahim, président de la Haute commission juridique des élections, qui a déploré, lors de la conférence de presse qu'il a donnée hier en début d'après-midi, ces dépassements, ainsi que l'arrivée tardive de certains juges qui chapeautent les centres du vote, et la non-disponibilité — pendant des heures — des listes des candidats, dans quelques écoles de l'intérieur du pays. «Mais avec 9.800 centres et 10.000 juges, cela peut arriver», a-t-il atténué. Seulement, d'autres accrocs ont eu lieu, comme l'agression de salafistes contre des candidats à El Bassatine, ou le méfait d'un «prétendant» du nom de «Antar» qui, éliminé de la course parce qu'il n'a pas accompli son devoir militaire, a obstrué une route à Assiout avec ses «supporters» (un acte inédit ici, peut-être importé de chez nous), tirs de feu à l'appui. Cela met en lanterne le transport des électeurs par les candidats (notamment les mouvements islamistes) vers les centres du vote, la rétribution (illico presto ou future) des voix, et la promotion par haut-parleurs dans des voitures «itinérantes», à proximité des écoles où le peuple doit s'exprimer. «Ettahrir» perd la voix Mais quels que soient ces dépassements, survenus surtout à l'intérieur du pays, il est clair que l'Egypte a adhéré à ces élections et que même ceux qui occupaient la place «Ettahrir» y ont pris part, en grande partie. La preuve, c'est que les salafistes s'en sont publiquement retirés depuis avant-hier soir, «pour se consacrer aux élections», comme certains de leurs représentants nous l'ont déclaré. En plus, la place était presque vide hier matin, et en début de soirée, elle avait perdu énormément de sa voix contestatrice, même si les banderoles appelant au rejet des élections et à la chute du Conseil supérieur de l'armée étaient toujours là. Il est toutefois clair que ce dernier a réussi la première manche de son agenda annoncé, avant de céder le pouvoir en juin prochain, en amenant les Egyptiens à voter en force, hier, aujourd'hui, demain et après-demain, encore plus, nous en saurons davantage.