De notre envoyé spécial au Caire Slaheddine GRICHI A partir de ce matin et sur deux jours, environ 26 millions d'Egyptiens devraient — normalement — se diriger vers les bureaux de vote dans les neuf gouvernorats (mouhafadhat) prévus pour cette première partie des élections du Parlement. Ils désigneront 168 représentants (112 membres de partis ou de coalitions et 56 indépendants) sur les 498 sièges que comptera ce «majless» du peuple. Mais le taux des votants risque fort de se révéler en deçà des estimations des optimistes qui le situent autour de 80%. En effet, contestations et contre-contestations, remises en question et blanc seing fusent de tous les côtés, plongeant l'événement dans un flou qui n'a rien d'artistique. Entre «Ettahrir» et «Al Abbassia» Alors que place «Al Abbassia» du Caire trouvait écho dans des régions du pays, à son obédience au Conseil supérieur de l'armée (et de l'Etat), et que ses manifestants appelaient à un nouveau meeting de soutien pour vendredi prochain, la place «Ettahrir» continuait d'accueillir les contestataires — beaucoup plus nombreux — qui étaient bien en début de soirée plus mobilisés que les dix derniers jours, c'est-à-dire depuis qu'ils ont décidé d'occuper de nouveau la place. Cent vingt mille personnes, peut-être plus, à majorité jeunes, réparties en groupes et groupuscules, avec chacun un son de cloche, le sien ou celui de la mouvance à laquelle il appartient, critiquant tel candidat ou tel autre, proposant des noms pour un gouvernement de salut national qui se substituerait à celui, pas encore formé, de Kamel Al Ganzouri. Des rumeurs ont même couru avant-hier soir et qui ont continué à courir hier matin qu'Al Baradaï avait été désigné pour constituer un gouvernement… Et si les dissonances persistaient entre favorables à une République civile et prêcheurs d'une autre islamique, ceux-ci et ceux-là appelaient dans une large majorité à boycotter les élections et à ne pas reculer face aux sanctions annoncées à tous ceux qui ne voteraient pas, à savoir une amende de 500 livres (85 dollars). Plus important encore, hier en début de soirée, 20 partis et mouvances ont déclaré place «Ettahrir» qu'ils comptaient constituer un «Parlement de la révolution» et un gouvernement de «la place». Une mesure qui marque une escalade après leur exigence, soutenue par moult banderoles et affiches, de démettre le Conseil supérieur de l'Etat et ses membres (y compris le «mouchir» Hassine Tantaoui), dont ils remettent, désormais, en question et la légitimité et la probité. «Ettahrir» n'est pas l'Egypte Ces positions sont partagées par une partie de l'intelligentsia égyptienne qui dénonce dans les médias, la présence — manifeste ou occulte — de certains symboles de l'ancien régime et celle de quelques hauts fonctionnaires de la police politique et des «moukhabarat» (renseignements), en plus d'autres griefs. Mais en face, il y a une autre frange, aussi importante, même si elle se manifeste moins, qui affirme que la place «Ettahrir» n'est pas l'Egypte, et que ce ne sont pas les 180.000 personnes, entre jeunes qui ne comprement rien à la politique et barbus dogmatiques (NDLR : nous y avons rencontré d'autres représentants de la société) qui vont décider pour 85 millions d'Egyptiens. Entre ceux-ci et ceux-là, le président du Conseil supérieur de l'Etat a encore une fois fait preuve de retenue, de diplomatie et d'une certaine fermeté aussi, en appelant le peuple à se prononcer à travers ces élections, en insistant sur les dangers qui guettent le pays de certains de ses voisins et en affirmant que la situation de l'armée sera la même, quelle que soit la constituante. Aujourd'hui et demain, nous saurons s'il a été entendu.