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Choc de l'incarcération et crise de la réinsertion
Prison d'El Mornaguia — Ateliers d'apprentissage professionnel
Publié dans La Presse de Tunisie le 14 - 12 - 2011

Rien n'est pire que d'être privé de sa liberté. Dans le même temps, rien n'est plus important que de protéger la société contre les diverses formes attentatoires à l'intégrité des personnes. Dans cette logique, l'institution pénitentiaire trouve sa raison d'être. Sa manière de traiter les condamnés et d'assurer l'exécution des peines semble avoir une dimension dont l'idéal consiste à réhabiliter les détenus et les préparer à une nouvelle vie sans récidive. Pour y parvenir, l'encadrement psycho-social et l'apprentissage professionnel sont la clé de voûte. Mais qu'en est-il de la réalité des choses? Une visite à la prison d'El Mornaguia, à quelques kilomètres de la capitale, nous a conduit à faire le point de la situation. Reportage !
C'était une journée pluvieuse. Le soleil s'éclipse dans un ciel nuageux et la grisaille plane sur les murs de la prison. A l'intérieur, les jours défilent et se ressemblent, avec un rythme monotone et dur comme le fer des portails des pavillons d'incarcération.
Dans les dédales de l'espace pénitentiaire, le temps n'a plus de sens dès lors que les peines infligées s'étirent sur de longues années. Et les détenus, dont certains sont placés en garde à vue, tandis que d'autres sont condamnés à vie, n'ont rien à faire sinon prendre leur mal en patience. Afin de se consoler et de fuir les affres de l'isolement, beaucoup sont allés chercher refuge dans les ateliers de prison. Mais qu'apprennent-ils vraiment ? Comment s'arracher à l'univers de l'isolement carcéral pour s'adonner à une activité ?
Entourés des cellules d'enfermement bondées où s'entassent jusqu'à 300 détenus, les espaces d'apprentissage tentent d'atténuer, un tant soit peu, les souffrances de l'emprisonnement. Ils sont répartis en fonction de la nature des peines, de leur durée, mais aussi du mode de formation volontairement choisi par le pensionnaire.
Au complexe «A», les machines de menuiserie et de soudure tournent à plein régime. Béchir, chef d'atelier, prend à sa charge une quarantaine de détenus, désireux d'apprendre les métiers liés au bois. Il s'agit d'un travail en série, faiblement rémunéré, qui peut durer des années jusqu' à une remise de peine, une grâce ou une libération définitive. Condamné à plus de six ans de prison ferme pour braquage, Mohamed Ali, jeune de 30 ans, fait tout pour dépasser le cap de la dépression. «Je trouve une lueur de liberté perdue dans ce travail quotidien, lequel pourrait dissiper, en partie, la mélancolie de ce temple maudit». Après plus de trois ans passés sous les verrous, ce jeune a pu retrouver son souffle professionnel d'autrefois. Il est en effet menuisier de profession. C'est pourquoi, il a rejoint cet atelier où il travaille à la pièce. «Autant je produis, autant je gagne», explique-t-il. Une activité en contrepartie d'une rétribution modique estimée en moyenne à 30 dinars par mois. Mais rien ne lui fait oublier sa bévue coûteuse. «Ce jeune homme pourrait, ainsi, avoir un diplôme professionnel dans son domaine, à condition qu'il se porte candidat à une épreuve dirigée par une commission multipartite composée des ministères concernés», indique M. Ali Sakli, conseiller chargé de la rééducation auprès de la direction générale des prisons. Et de noter: «Il s'agit d'un diplôme reconnu, sans être frappé par le sceau de la prison, dans le but de faciliter ultérieurement la réintégration des détenus dans le monde du travail».
A l'instar de Mohamed Ali, Mahmoud est un ancien menuisier, originaire de Kélibia, «ville du bois», comme la qualifie ce dernier. Il confesse ouvertement avoir dévié du droit chemin pour tomber dans le trafic des stupéfiants. Actuellement, il a purgé plus de la moitié de sa peine. Six ans derrière les barreaux lui ont été une chape de plomb dont les séquelles sont bien manifestes sur son visage pâle, teinté de chagrin. Il est déjà interné dans la cellule des toxicomanes, à qui l'on réserve un traitement spécial. «Pour fuir ce marasme carcéral étouffant, j'ai sollicité des responsables pénitentiaires de bien vouloir m'affecter dans le domaine de la menuiserie, mon domaine par excellence», révèle ce jeune de 37 ans, avec son air fatigué. Mais pour alléger le poids de la détention, Mahmoud se jette dans son métier d'antan, soit la décoration sur bois. «Car, ici, il vaut mieux s'adonner à une activité quelconque plutôt que de se laisser miné par la forte pression du temps qui court», dit-il en poussant un long soupir.
Emancipation passagère
Là-bas, derrière les barreaux, le vrombissement des machines et le silence assourdissant des prisonniers-ouvriers se mêlent pour faire monter l'adrénaline d'un certain esprit créatif. La privation de liberté génère, en quelque sorte, une éphémère catharsis permettant aux détenus de goûter à une émancipation passagère. Et l'intensité des instants va croissant pour briser le carcan de la frustration.
Tel est le constat fait auprès d'un autre atelier, celui-là de soudure, confiné au même quartier carcéral du complexe «A». Un véritable palliatif pour recommencer une deuxième vie dont les contours se dessinent avec les jours. Seuls les divers produits en fer forgé réalisés par des mains «inculpées» augurent d'un avenir incertain. En exposition, des grandes portes et fenêtres en métal bien finies témoignent d'une maîtrise remarquable. C'est ce que confirme Tarek Ben Said, chef de cet atelier de soudure. «Ils ont tous une expérience en la matière bien avant leur incarcération». Leurs peines varient généralement entre six mois et deux ans, mais elles peuvent aussi atteindre une décennie. Leur profil de forgerons et de soudeurs constitue bel et bien un dénominateur commun qui les rassemble tous dans un même atelier. «C'est là la philosophie de la rééducation pénitentiaire qui vise, tout d'abord, à servir l'intérêt du détenu pour l'habiliter à la réinsertion sociale de l'après prison», insiste M. Mounir Ncir, sous-directeur de la protection et de la réhabilitation dans la prison d'El Mornaguia.
D'emblée, ces prisonniers seront, à ses dires, répartis et classés conformément à leurs préférences professionnelles et leurs compétences acquises pour pouvoir enfin avoir leur certificat de formation voulue. «Il ne faut pas voir que les ateliers : tous les détenus jugés sont déjà employés à plusieurs tâches, dont le nettoyage, la cuisine, la boulangerie...», ajoute M. Ncir, signalant que la prison d'El Mornaguia, étendue sur 7 hectares, est en principe une prison à détention préventive, mais pour des raisons humaines et sociales, elle peut accueillir aussi des condamnés dont le jugement définitif a été prononcé. «Cela dans le respect de la volonté des détenus, dont certains veulent y rester de leur propre gré», ajoute M. Imed Dridi, directeur de la prison d'El Mornaguia. Et de poursuivre, «l'on compte au total cinq mille prisonniers, dont 500 qui bénéficient d'une formation professionnelle». Cette proportion assez réduite s'explique, selon lui, par le rôle de garde à vue dévolu à cette institution pénitentiaire. N'empêche, prévoit-il, d'autres ateliers seront peut-être créés prochainement.
La formation pour tous, sauf…
Par ailleurs, selon M. Sakli, ne bénéficie de ce « privilège » professionnel que la population carcérale dont le séjour touche à sa fin. Ayant purgé plus de la moitié de sa peine, bien avant de quitter la prison, deux ans plutôt, le détenu aura à profiter, à son gré, d'une formation dans l'une des filières enseignées. Il s'agit des spécialités professionnelles telles que la coiffure, l'informatique, la menuiserie, la soudure, le bâtiment, mais aussi celles à caractère artisanal (bijouterie, cuir..) ou agricole (plantes d'ornement). La formation ne dure que six mois, sanctionnée par un diplôme homologué ne portant pas la trace de son origine carcérale.
Par conséquent, ceux qui font preuve d'un comportement correct durant leur emprisonnement, ayant également rempli certaines conditions pénales et sociales requises peuvent ainsi bénéficier d'une amnistie rééducative leur supprimant le reliquat des peines. Sont exclus cependant de cette mesure les prisonniers condamnés à perpétuité ou ceux qui sont condamnés pour des crimes prémédités ayant entraîné la mort, ou pour des actes de viol, de trafic de drogue... Tout cela s'inscrit dans le cadre de la loi n° 52 promulguée le 14 mai 2001 relative au règlement des prisons et portant sur la formation destinée à la population carcérale. En plus d'un encadrement psychosocial et sanitaire, le dispositif de formation a été mis en place à l'intention de l'ensemble des prisonniers dans toutes les unités pénitentiaires que compte le pays. Un système spécifique qui remonte au début des années 90, en vertu d'un nouveau cadre juridique réglementaire.
De l'autre côté, le complexe «H» revêt une vocation toute particulière. Il abrite une bibliothèque comptant un fonds de 7.000 titres. Imed, capitaine à la douane, est condamné à 10 ans de prison ferme pour abus de pouvoir et affaires de corruption à l'époque du président déchu. Il en a passé trois dans un pavillon réservé à une autre catégorie, celle des détenus instruits. Au début, il avait du mal à digérer le dur choc de l'incarcération, loin de sa petite famille ; sa femme et ses deux enfants étant à Béja. «Je n'ai pas d'autre choix sinon celui d'aller chercher patience et compassion dans la préparation de mon master en sciences criminelles, car j'essaie de surmonter cette crise vaille que vaille», confesse-t-il. Toutefois, Imed ne bénéficierait d'une amnistie rééducative qu'au cours des deux dernières années de son emprisonnement, où il pourrait suivre une formation. D'autres pensionnaires, comme lui, ne reçoivent des bouffées d'oxygène qu'à travers la lecture et la peinture. Même sous les verrous, les talents explosent. A chacun sa manière de vivre la liberté, à petites doses.
En attendant la session d'avril prochain, beaucoup ont choisi de s'inscrire en informatique. D'autres ont opté pour la peinture. Tel est le cas de Kamel, un détenu quadragénaire ayant un niveau secondaire. Il a été, par le passé, formé en électricité auto. Dans la prison, il a appris l'art de la peinture par lui-même. Avec ses compagnons, il a vécu la révolution du 14 janvier en maniant le pinceau et les couleurs. Leurs tableaux relatent l'histoire des moments forts et des événements pénibles qu'ont connus les Tunisiens. «C'est à partir des journaux et de la télé qu'on s'informe de l'actualité nationale pour pouvoir s'en inspirer par la suite. Les visites des proches et la rencontre des avocats nous apportent également les nouvelles», raconte-t-il sur un ton dur mitigé de fierté. Il a révélé avoir eu les encouragements, à maintes reprises, du directeur de la prison. Ayant à leur actif une série de tableaux illustrant les photos des présidents arabes déchus, l'image des snipers et d'autres incidents, Kamel et ses camarades vont exposer leurs œuvres, le 14 janvier 2012, au centre culturel et sportif d'El Menzah VI, en commémoration de la grande révolution populaire, jamais vécue en Tunisie.
Le risque de la récidive plane
Dans ce complexe de réhabilitation, il y a aussi des détenus étrangers, notamment des Africains. Ces derniers sont en train d'apprendre la langue arabe dans un club d'alphabétisation. «L'année dernière, l'on a enregistré, en tout, quelque 540 prisonniers bénéficiaires du programme d'enseignement pour adultes», souligne M. Boumediane Mhamdi, animateur d'éducation sociale chargé de ce programme d'apprentissage. Aux dires de M. Dridi, ces étrangers seront, ainsi, rapatriés juste après avoir été libérés. Toujours bien «escorté» du directeur de la prison et ses adjoints, sous les regards des gardiens des temples pénitentiaires, on a fait le tour des ateliers de coiffure et de bijouterie, où des détenus apprennent comment reconstruire leur vie post-carcérale. Bien que les années d'enfermement les écartent de tout ce qui se passe en dehors des murs, l'espoir de frôler un jour la terre des hommes libres les revigore.
A défaut d'une intégration socio-professionnelle souple, la crise de la libération s'installe gravement. Et le rêve de rattraper le temps perdu risque de ne pas se concrétiser. Insupportable, le choc psycho-social qu'aurait ainsi à subir le détenu, au sortir de la prison, pourrait le pousser à la récidive. Son casier judiciaire n'étant plus vierge est un lourd handicap. L'image que porte la société sur une personne ayant des antécédents carcéraux affaiblit ses chances de décrocher un emploi. Que faitr alors un prisonnier face à ce double rejet qui lui est infligé fatalement? Un tel jugement n'est-il pas un véritable coup de grâce ?
«Pourquoi n'y a-t-il pas une structure ou dispositif national chargé de la réinsertion post-carcérale ?», ainsi s'interroge M. Sakli, insistant que le besoin de soutenir les prisonniers pour pouvoir s'intégrer de nouveau dans la vie active se fait de plus en plus sentir. «L'on a, d'ailleurs, proposé autrefois la création d'une telle structure, mais cette proposition n'a pas eu de suite favorable», lance-t-il. Et pour finir, il conclut qu'il est temps, aujourd'hui, plus que jamais, de réformer les outils et les mécanismes de réadaptation des détenus, étant donné que l'emploi de cette catégorie sociale si vulnérable fait également partie intégrante des droits de l'Homme dans leur acception la plus large. Nous y reviendrons...


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