Les événements révolutionnaires n'ont pas freiné longtemps les activités de La Rachidia. Moins d'un semestre, le temps de remettre les choses en place (dont la nomination de Fathi Zghonda à la direction artistique et la recomposition de la troupe) et les cours ont pu reprendre normalement au siège de l'institut, de même que le cycle des concerts mensuels programmés (comme c'en est devenu l'usage depuis quelques années) au Théâtre de la ville de Tunis. Vendredi, rendez-vous était pris pour le dernier concert 2011, le quatrième ou le cinquième de l'année si l'on ne s'abuse. Une bonne surprise d'emblée : il y avait du public à tous les étages de la bonbonnière. Un public nombreux et alléché, fidèle a son habitude, malgré le froid et les intempéries. Le public du malouf est une sorte d'énigme pour les observateurs du paysage musical tunisien. Au fil des décennies, et avec la succession des nouvelles musiques et l'évolution des goûts, on le croit en diminution, un peu passé d'époque. Erreur il se maintient. Mieux : il se renforce d'un certain pourcentage de jeunes adeptes. Les spécialistes nous expliqueront peut-être un jour les raisons de cette belle «résistance». Un fait est sûr néanmoins : l'art des noubas est loin d'être «en panne de transmission», et s'il ne domine plus sur le marché, sa mémoire est encore tenace et il se fredonne toujours dans les foyers. Dans le juste rituel Assistance fournie, auditoire attentionné et chaleureux, qu'en fut-il du concert lui-même? Comme choix de programme, comme atmosphère rendue, quasiment pas d'objections. Fathi Zghonda, très précis dans la direction, a respecté l'ordre rituel classique: une Nouba en introduction, la «Dhil» cette fois-ci, mode typique tunisien, ample, majestueux, mais une nouba resumée à sa première partie (ouverture, «Abiat», «Btaïhi» et pour conclure une trouvaille, la célébrissime «Naourèt Ettboü»), suivie, après un court hommage à Kaddour Essrarfi à travers sa composition instrumentale «Farha», d'un «chghol» connu sur le mode «rast eddhil», «Hayyara al afkar» (Draj, rythme semi-lent, métrique à l'envi), ponctué, sur la progression des tempos, par «ya Aziz el Hosn (Naoukht), «Quom Tarafek» (Dkhoul brawel) et «Laïba Eddhabiou» (final accéléré). «Nouba» restreinte et «Chghol», on sait maintenant d'expérience que c'est juste ce que l'écoute moderne peut «digérer» dans un concert de Malouf. Khemaïs Tarnane procédait déjà ainsi dans les années 50. Et davantage, par la suite, Tahar Gharsa qui allait même jusqu'à agrémenter («Tatriz») les suites classiques par des épilogues de chansons populaires. Et «la nouvelle tradition» se maintiendra avec Ben Algia et Ziad Gharsa. Et aujourd'hui même avec Fathi Zghonda dont le seconde partie du programme, vendredi soir, fut réservée aux chansons de répertoire («Donia Hania» et Ya Khlila de Salah Al Mehdi, «Ana jitek ya Rammel» de Youssef Tmimi, «Kidhik bik eddahr» de Sadok Thraya entre autres), interprétées, successivement, et sous les applaudissements nourris de la salle, par deux jeunes transfuges de la chorale (Balkis et Mohamed Chebil) et un vieil habitué de la maison, Zine El Haddad. Un choix, tout compte fait, pertinent, équilibré surtout et qui, sur ce que l'on a pu constater, nous a semblé contenter la majorité des présents. Ce n'est pas peu pour un concert de musique traditionnelle, a fortiori pour un concert de malouf réputé pour être «austère», rarement communicatif. En manque de brio Comme qualité d'interprétation et de chant, maintenant, tout ne fut pas parfait. Et on peut le comprendre. La troupe qui a perdu nombre d'instrumentistes et de solistes de premier ordre (lire encadré) a eu du mal à se reconstituer. Il y a moins d'archets rompus et, en conséquence, moins de volume orchestral. Ce que l'ensemble dirigé par Fathi Zghonda a pu proposer était simplement dans la correction, dans la moyenne professionnelle. L'effort collectif était louable, mais il manquait du brio au tout. Etait-ce une excuse pour autant ? Difficile à dire. En tout état de cause, l'auguste et prestigieux institut de la Rachidia se doit de fonctionner sur des prestations d'un tout autre niveau. Même remarque en ce qui concerne les chœurs, homogènes, certes, mais rarement dans le surpassement vocal, ce qui est une des bases du chant andalou. Petite exception, mais à relativiser : le jeune soliste chanteur, Mohamed Ali Chebil. Du timbre, net, un tant soit peu coloré, une touche d'inspiration susceptible de s'exprimer avec plus de relâchement à l'avenir, mais l'écoute semble encore inaccomplie. Chanter, c'est comme écrire, plus on en sait et mieux l'on est. Encore une fois, une maison de la stature de la Rachidia a un standing à défendre. Vivement l'appoint des voix confirmées. Retour de l'enfant prodigue …? Une importante annonce a été faite à la fin du concert, par le secrétaire de l'association «La Rachidia», M. Hédi Mouhli, dans laquelle il a fait allusion à un éventuel retour au bercail de l'ex-directeur artistique, le maître du malouf et chanteur de premier plan, Zied Gharsa. Rappelons que La Rachidia a traversé depuis l'été 2010, une crise interne, intervenue à la suite de la dissolution du bureau élu et de la désignation d'office d'un nouveau comité. Après la révolution, le bureau élu a récupéré les lieux et repris ses fonctions, mais il lui a fallu remplacer le grand partant, Zied Gharsa, et pratiquement de la majorité de l'ancien orchestre et les chœurs. Aujourd'hui, et si la nouvelle glissée par M. Mouhli se vérifie, il est probable que l'on s'achemine vers une réconciliation, donc, vers le retour de Zied Gharsa et des musiciens de premier plan qui l'avaient suivi. Mais si l'on en croit aussi M. Mouhli, ce retour coïncidera avec la programmation, lors des concerts mensuels, de nombre de meilleurs chanteurs de la place, ce qui est une tradition au long cours de La Rachidia depuis sa création en 1934. Attendons confirmation. H.S.