Par Khaled TEBOURBI Des vœux pour l'année qui commence ? Peut-être un seul, mais qui les engloberait tous : que cette Tunisie nouvelle aille jusqu'au bout de son rêve, qu'elle devienne, vraiment, une démocratie. Depuis des mois, spécialistes et responsables ne font que nous prévenir contre les risques d'une «faillite économique». Vrai : il y a trop de grèves, trop de chômage, trop d'investisseurs qui fuient. Le sentiment, néanmoins, est que cet alarmisme autour de l'économie détourne l'attention sur les faux pas, les erreurs, voire les déviations qui affectent le processus politique et constitutionnel de la révolution. N'ayons pas la mémoire courte : sous la dictature de Ben Ali on atteignait les 5% de croissance, le PIB national était l'un des meilleurs d'Afrique, mais les Tunisiens étaient privés de leurs droits élémentaires, relégués au rang de sujets. Retomberions-nous dans le même travers? On ne juge pas du bien-être d'un peuple, de son développement et de sa prospérité sur de seules performances quantitatives. On en juge aussi, surtout, sur la capacité de ce peuple à décider de son sort, sur son épanouissement culturel, sur ses libertés. Double déception Inutile de revenir sur tout ce qui a été motif à craintes pendant cette période de transition. Sur les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les élections de la Constitutante par exemple. Ou encore sur celles qui ont présidé à l'adoption du texte sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Ou, pire, sur les allusions au califat et sur l'éclosion insidieuse du salafisme. Ce qui se «trame» ces derniers temps à l'encontre des médias suffira amplement à la démonstration. Double déception, en fait. D'un côté, le leader «d'Ennahdha», qui harangue les journalistes, qui les traite de «démolisseurs», un Premier ministre qui s'impatiente de leurs écrits, un des porte-parole de la majorité gouvernante qui invoque des «excuses» de triste mémoire (l'intérêt supérieur du pays!?) Et de l'autre (pardon chers confrères d'avoir à le relever), une profession qui prend ces attaques pour «argent comptant», qui sort des communiqués, qui tient des débats, qui ébauche des réflexions sur «La stratégie des rapports entre les médias et l'Etat», qui soumet même des propositions de réforme au gouvernement. Bref, une profession qui se met inutilement sur la défensive, qui concède presque ses acquis. Se trompe-t-on de révolution? On défonce, en somme, des portes ouvertes, on s'invente de faux problèmes. Alors que les données sont simples : on a chassé une dictature, on a convenu, tous ensemble, d'une démocratie. Ce qui signifie, au regard du journalisme, rupture définitive avec la censure et avec l'ingérence, sous quelque forme que ce soit, du pouvoir politique dans l'information. Ce qui signifie, corrélativement, indépendance et autonomie éditoriales des médias, et liberté absolue de la presse, publique ou privée, aucune différence. Ceux qui «remuent» et «apostrophent», dans le giron de la troïka, ont tout à fait le droit d'exprimer leur opinion, mais ils n'ont, par principe, rien à frayer dans la sphère médiatique. Ou alors c'est qu'ils se trompent encore de révolution. Nos confrères, quant à eux, devraient camper solidement, sereinement, sur leurs conquêtes révolutionnaires. Et ne pas retomber dans le piège redoutable du «compromis». On ne négocie pas sa liberté !