Par Taoufik CHARRADI Après la chute du système du parti unique en Tunisie, le processus de démocratisation s'impose dans la garantie des libertés de pensée, d'expression, de presse et d'association. Mais, entre extension des libertés et lutte pour l'égalité, la notion de démocratie est susceptible d'acceptions variées. L'assimilation de la démocratie à un Etat fort et garant de l'égalité a conduit dans le passé à l'établissement d'un régime autoritaire voire totalitaire (contrôle de l'économie par l'Etat, planification, etc.) et à une législation sociale plus étendue (salaire minimum, congés payés, sécurité sociale). Ces régimes se définissent comme l'achèvement du processus démocratique, fondé sur la souveraineté politique et économique collective du peuple. Mais le rejet de ces dictatures semble être le triomphe de la démocratie libérale sur le modèle occidental (système représentatif, multipartisme et respect des libertés individuelles), dont les libertés économiques sont définies comme le garant. Ainsi le processus de démocratisation aboutit à l'idée d'un Etat providence, qui est, dans tous les sens du terme, la fin de la démocratie. Pourtant, ce triomphe est peut-être celui d'une notion désormais vide. Le retour en force du libéralisme économique, même se réclamant de la social-démocratie, a déterminé l'accroissement des inégalités et des phénomènes d'exclusion de nombreuses couches de la population (par la culture de l'argent), dont la vocation, semble-t-il, est de mettre en route la mondialisation. De plus, le processus de mondialisation vide de son contenu le pouvoir décisionnel des citoyens : le pouvoir des grandes entreprises multinationales domine largement celui de l'Etat ; les médias mimant la démocratie font du citoyen un simple spectateur du monde ; la complexité croissante de l'économie et de la société conduit à une technocratie multiforme qui rend largement illusoire le suffrage universel. La montée de l'individualisme où chaque citoyen se replie sur sa propre sphère d'activité et se désintéresse des affaires publiques et le manque de confiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique manifestent la cupidité de la notion classique de démocratie. Pourtant, grâce aux progrès techniques (instantanéité et décentralisation de l'information), émerge l'aspiration double à une micro-démocratie de la vie quotidienne (logement, environnement) et à une macro-démocratie planétaire (écologie, lutte contre le sous-développement). En ce sens, la démocratie reste une aspiration. Le processus de démocratisation pose la base d'une réelle communication où l'Etat est perçu comme un partenaire avec lequel il faut discuter. Il s'agit de partager son pouvoir et ses responsabilités avec d'autres acteurs politiques et sociaux. Ce partage peut se réaliser à travers la décentralisation et la libre administration des collectivités et par la participation d'une société civile forte, ayant des nouvelles formes d'association effective et l'implication des compétences (marginalisées ou éloignées dans le passé) à ce qu'on peut appeler «le processus décisionnel». Cette nouvelle société civile, constituée par des associations et des organisations, pourra contrer les initiatives existantes d'usurpation du pouvoir par ceux qui se trouvent subitement privés de leurs privilèges anciens. Elle devra également lutter non seulement en faveur d'une participation au pouvoir, mais aussi pour une participation aux ressources économiques du pays. Ces ressources doivent être investies dans le développement et non plus dans l'enrichissement d'une petite minorité. Mais ce processus de démocratisation sera lent et inéluctable et les pratiques démocratiques supposent un apprentissage qui prendra le temps nécessaire pour changer les mentalités les plus ardues. La population risque d'assimiler de plus en plus démocratie à l'incurie économique et à l'anarchie sociale due à la situation économique extrêmement précaire dont l'espoir de pouvoir la changer demeure tout de même.