Par Nejib OUERGHI Le mot a été lâché samedi soir sur les chaînes de télévision tunisiennes par M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire de la Troïka: le moment est venu pour placer l'intérêt de la Tunisie au-dessus de toute autre considération partisane. Un appel de détresse qui montre le désarroi qui gagne la classe politique au moment où le pays est en proie à tous les périls. Le bilan brossé, chiffres à l'appui, un mois presque après l'investiture du gouvernement, est pour le moins alarmant pour cause de risques d'instabilité politique et sociale, d'incertitudes qui persistent, d'absence de signaux clairs, notamment dans la conduite des grands dossiers en suspens et de l'extension du champ des tensions sociales. A l'évidence, face à une demande sociale urgente et à un bouillonnement que l'attentisme ambiant ne fait qu'attiser davantage, le gouvernement — né de convulsions douloureuses — n'a pas réussi, manque d'expérience oblige, à convaincre, sécuriser et à interpeller une population inquiète et en mal de repères. Un mois, on peut en convenir, est une courte période pour engager des actions en profondeur, désamorcer la colère qui gronde, répondre de façon optimale à des attentes longtemps insatisfaites ou trouver des solutions efficaces à un lourd héritage. En revanche, c'est une période suffisante pour lancer des messages clairs à l'adresse de l'opinion publique, exprimer des engagements sans équivoque et définir des orientations stratégiques qui sortiraient le pays du cercle vicieux qui ne cesse de l'enfoncer dans la tourmente. C'est précisément sur le terrain de la communication que le gouvernement a accusé un grand déficit laissant la porte, grande ouverte, à l'approximation et au doute. Un déficit qui est à l'origine de toutes les incompréhensions qui règnent, la cacophonie qui a dominé la vie politique, économique et sociale et les tensions qui, tel un feu de paille, se sont propagées partout dans les régions. Un déficit de communication, enfin, qui trouve son pendant dans une activité gouvernementale qui n'a pas pu ou su, rapidement, donner le la en allant au fond des choses dès les premiers jours. Résultat: beaucoup de temps perdu dans des actions imprécises ou tout simplement en déphasage avec des attentes réelles et urgentes. Le réveil brutal a été la conséquence logique du cafouillis qu'on connaît puisqu'on s'est aperçu, subitement, qu'il y a péril en la demeure et que le pays est en train de s'enfoncer dans le chaos, si un sursaut salvateur ne vient arrêter cette descente dans l'inconnu. L'appel lancé par M. Jebali au retour au calme et au travail, préalables incontournables, selon lui, pour donner une chance à la machine économique de démarrer, à l'investissement de repartir, à l'emploi de se développer et à la confiance d'être restaurée, est plus que nécessaire. Il est salutaire. Car tout n'est pas encore perdu. Il importe, aujourd'hui, de voir les partis, dont l'avenir proche du pays est suspendu entre leurs mains, de savoir rebondir et de se mettre à l'ouvrage conformément à une vision et à une démarche tenant compte des intérêts de la Tunisie et des enjeux qu'exige une transition démocratique réussie. Il s'agit, au demeurant, de trouver des arbitrages qui permettent de converger vers des choix politiques, économiques et sociaux consensuels qui renforceraient les soubassements d'une Tunisie de la modernité, de la démocratie, de l'alternance, de la pluralité, de la tolérance et de la dignité. Des pistes, faut-il le rappeler, qui s'accommodent mal avec le double langage et l'ambiguïté dans le traitement des questions posées en ayant constamment à l'esprit que toute dérobade ne peut que conduire à des dérives aux conséquences imprévisibles. Cela implique, en d'autres termes, de réorienter tous les efforts vers des objectifs rassembleurs et fédérateurs. Des objectifs qui permettent de transcender tous les malentendus et les incompréhensions, condition indispensable pour préserver la révolution de tout retournement et poursuivre dans un climat de sérénité l'élaboration d' une Constitution pour tous les Tunisiens. Une œuvre qui doit être entamée dans un esprit positif, sans instrumentalisation ni manipulation.