Par notre envoyée spéciale à Varsovie Hédia BARAKET Il y a vingt-deux ans, à la faveur du mouvement pacifiste du syndicat «Solidarité», la Pologne s'émancipait du communisme et rejoignait le camp des pays démocratiques, libération de la presse et refonte des médias à l'appui. Pour tous les points communs qui marquent ses années de transition et les nôtres, nous avons fait le voyage de Varsovie et le circuit de ses médias, à l'initiative de l'Instance nationale de la réforme de l'information et de la communication (Inric) et de l'ambassade de Pologne en Tunisie. Reportage. A Varsawa, le réalisme et le compromis sont les maîtres mots. Car l'histoire de la capitale polonaise et du pays entier a toujours été de se dégager des décombres et de se reconstruire dans la négociation et sans grandes illusions. Deux fois assiégées, (par l'Union Soviétique et l'Allemagne de Hitler), entièrement rasée sous les obus allemands, reconstruite par le régime communiste et parsemée de quelques gratte-ciel, d'imposantes institutions financières et de grands centres commerciaux à la faveur de l'économie du marché, Varsovie brille à première vue par le mélange de ses styles architecturaux. Gothique, baroque, néoclassique et contemporain se côtoient sur les deux rives de la Vistule... Curieux compromis entre une reconstruction fidèle du patrimoine historique et la création d'une ville typique de l'architecture stalinienne... Sur quoi se greffe, peu à peu depuis vingt ans, un visage de capitale économique européenne encore épargnée par la crise de la zone euro, qui fait une grande place à une religion et une paysannerie fort ancrées dans la société et si solubles dans la modernité. «Les rêves utopiques mènent inévitablement au retour du totalitarisme...» C'est que le compromis polonais ne s'arrête pas pour autant aux murs de Varsovie et sa géographie. Il y a dans l'histoire ancienne et contemporaine bien d'autres négociations et arrangements qui en disent long sur le réalisme historique de ce pays. Il y a bien plus proche de nous, la révolution de «Solidarnosc», le syndicat devenu mouvement national qui a combattu le communisme, sans effusion de sang. En 89, les «Tables rondes», grandes réunions entre ce syndicat et le gouvernement, ont permis la naissance sans violence de la troisième République de Pologne. Une démocratie avec une Constitution et des institutions, une place dans «l'Europe libre», une souveraineté, des droits civils, des élections démocratiques, des frontières ouvertes et surtout... point de censure dans les médias ! Comme partout ailleurs, la fin de la dictature a apporté la liberté et avec la liberté, la confusion et les divisions. La Pologne ne sera pas une démocratie débutante plus désordonnée que les autres. Mais la spécificité de sa révolution restera entière : un caractère pacifique, des moyens civilisés pour solder les comptes du passé, un processus de réconciliation et de négociation. Et ce qui distingue, par dessus tout, le passage à la démocratie ce sont les idéaux très réalistes du mouvement; beaucoup plus proches de ceux de la révolution américaine que ceux de la révolution française. «Solidarnosc n'a jamais eu de vision d'une société idéale... Les rêves utopiques mènent inévitablement au retour du totalitarisme...» Pense la génération de 89. Et toute l'éthique de Solidarité, basée là-dessus, sera de ne pas nourrir d'illusion quant au sentier étroit des libertés. Le danger n'était pas tant le retour du communisme que celui de l'autoritarisme ; la Russie étant le plus préoccupant des élèves, dans la région… Vingt-deux ans après, l'expérience des médias polonais est une épreuve continuelle de liberté et de déontologie Les vingt ans d'expérience du post communisme en Pologne auront dès lors ce quelque chose à enseigner aux démocraties naissantes d'aujourd'hui: la liberté d'expression est obligatoirement un dur combat constant et vigilant contre les velléités d'un autoritarisme toujours vivant. Il n'y a qu'à faire le circuit des médias, des écoles de journalisme, des instances d'autorégulation, des instituts de monitoring et des observatoires de la liberté foisonnant à Varsovie pour le vérifier. Une galerie de personnages et de paysages différents. Des stations qui défilent et se diversifient. Elles donnent à voir, au bout du voyage, un système médiatique visiblement pluraliste et complexe où le nombre et la divergence des lignes éditoriales, des garde-fous, des institutions de contrôle, des établissements de formation, des organisations professionnelles constituent en eux-mêmes la plus puissante des garanties de la liberté de la presse et de l'indépendance des médias… En voici, au passage quelques illustrations. Première leçon : une école pas comme les autres Il s'appelle Jacel Zakowski. Il nous reçoit dans les locaux de son journal le quotidien «Polityka» pour nous parler de son école de journalisme et de son projet de comité... Au retour d'une longue expérience de terrain, ce journaliste professionnel est à la tête du Journalisme Collegium Civitas et du Comité civique des médias publics. Le premier est un établissement d'enseignement privé qui officie comme une pépinière de talents. «Avec vingt mille journalistes en exercice en Pologne, deux milles qui réussissent chaque année, une dizaine d'instituts et plusieurs universités, le niveau des études et de la profession varie considérablement. Il y a des écoles de qualité à l'université publique de Varsovie et de Cracovie. Mais ce n'est pas toujours le cas». Créé par l'Académie des sciences, son collège est un îlot de qualité dédiée à la formation des élites. Seule une vingtaine d'étudiants y est admise tous les ans, sur un très bon niveau de bac et un entretien qui doit révéler la confiance en soi du candidat et une aptitude à réussir dans la profession. Résultat : les étudiants du collège sont sollicités par les médias avant même d'achever leur licence et leur maîtrise. Le secret du collège ? C'est une rupture totale avec la tradition de la formation en vigueur : ses enseignants ne sont pas des théoriciens de l'information. Ils font partie des cent meilleurs journalistes professionnels et même pour certaines matières des top 20 et des dix qui reçoivent le titre de meilleurs journalistes de l'année... Trêve d'histoire et de théories du journalisme, le plus clair des cours est une initiation directe et soutenue à la pratique journalistique. Suivant une évolution annuelle, elle se fait dans le cadre des ateliers de lecture des médias (comment les médias couvrent et interprètent les évènements et comment les évènements peuvent évoluer), des ateliers d'écriture et de radio télévision. Les programmes ne prévoient aucune spécialisation ; il est plutôt tenu compte de la nouvelle donne qu'est la convergence des médias. Et il n'est de place aux cours académiques que pour l'enseignement des sciences sociales, politiques ou de l'économie.. Comment nommer démocratiquement les responsables des médias publics ? Inspirés des modèles français et britannique, les médias publics polonais restent sensibles et perméables aux directions des partis politiques. «On n'a toujours pas réussi à enseigner aux politiques l'autonomie des médias publics...On a alors proposé un système où les responsables de ces médias seront désignés par des représentants d'un réseau national d'organisations réunissant les mouvements sociaux, les collectivités locales, les organisations de créateurs, les fondations humanitaires et les organisation sociales». Dit notre hôte. Et c'est tout le rôle du Comité Civique des médias publics dont le projet sera bientôt soumis au Parlement. Parmi les milliers de représentants de ce réseau d'organisations, un électorat composé de quatre cent personnes est nommé dont une centaine seront membres du comité. En raison même de sa complexité, ce mécanisme de prévention servira à libérer les médias publics du contrôle politique et à élire leurs responsables. Les membres du comité ne touchent pas de salaire. Ils ont pour mission de réviser les termes du service public et d'y introduire des critères objectifs. Car jusque-là, les employés et les responsables des médias publics savent que les décisions sont prises par les politiciens. Ils travaillent pour leur plaire.