La séance inaugurale des Journées du cinéma européen fut un clin d'œil à la révolution tunisienne et par ricochet, à toutes les révolutions populaires dans le monde. Danton est un film franco-polonais de 1983, adaptation cinématographique de la pièce de théâtre de l'auteure polonaise Stanisława Przybyszewska, L'affaire Danton. Cette grande œuvre, signée Andrej Wajda, un ténor du 7e Art mondial et le porte-drapeau du cinéma polonais, ne fait en aucun cas l'éloge des révolutions, mais met le doigt sur les éventuels dérapages, accaparation du pouvoir au nom du peuple et sur la transformation de la défense des idéaux en dictature et en terreur. Voici d'abord le synopsis du film : le député Danton a quitté sa retraite et regagne Paris pour appeler à la paix et à l'arrêt de la terreur. Populaire, appuyé par la Convention et des amis politiques qui ont de l'influence sur l'opinion, notamment le journaliste Camille Desmoulins, il défie Robespierre et le puissant Comité de salut public. Le film a été commandé, à l'origine, par l'Hexagone, lors de la présidence socialiste de François Mitterrand, soucieux de célébrer la révolution française. Le président et ses ministres ne s'attendaient pas à ce que Wajda montre cette phase de l'histoire française, «la Terreur», comme foncièrement abjecte et sinistre. Lors de la projection privée, avant la sortie du film, Jack Lang, alors ministre de la Culture et d'autres ministres sont sortis de la salle, avant la fin de la séance, furieux que l'on caricature ainsi une facette essentielle de l'histoire. Pourquoi Danton en ouverture? Chaque œuvre a une double lecture, et se prête à plus d'une analyse. Déjà à sa sortie, on a bien vu que le film est une œuvre doublement historique : à travers l'évocation du printemps 1794 de la Terreur, Wajda a surtout fait un film sur la Pologne de 1982. D'un côté, il restitue avec une précision documentaire les décors, les costumes et accentue l'atmosphère oppressante de Paris en mars-avril 1794, mais il détourne ce contexte historique pour dresser un portrait politique de la Pologne en 1982, au moment où le régime communiste venait d'interdire le jeune syndicat Solidarnosc et d'arrêter ses principaux dirigeants. La projection de ce film à l'ouverture des JCE serait-elle une mise en garde de ce qui pourrait arriver quand les politiques s'entredéchirent et quand la soif du pouvoir prend le dessus et commence à aveugler? Wajda qui nous a parlé de la Pologne des années 80 à travers l'opposition entre Danton et Robespierre, vise-t-il, par là-même, toutes les révolutions, y compris la nôtre?