Par notre envoyée spéciale à Varsovie Hédia BARAKET Il y a vingt deux ans, à la faveur du mouvement pacifiste du syndicat «Solidarité», la Pologne s'émancipait du communisme et rejoignait le camp des pays démocratiques, libération de la presse et refonte des médias à l'appui. Pour tous les points communs qui marquent ses années de transition et les nôtres, nous avons fait le voyage de Varsovie et le circuit de ses médias, à l'initiative de l'Instance nationale de la réforme de l'information et de la communication (Inric) et de l'ambassade de Pologne en Tunisie. Reportage. La première télévision pour laquelle le groupe Polsat a obtenu sa licence en1993 est une télé généraliste. Sa licence contient à ce jour un programme à 10% consacré à l'information. Après, il y a la culture, la religion, la variété, les films et les séries. Le deuxième responsable de la première télé commerciale polonaise se souvient que les débuts n'étaient pas difficiles. Il était aisé de concurrencer une télé publique qui ne maîtrise pas les règles de télé commerciale. La formation d'une première équipe de professionnels n'était pas compliquée non plus. Elle se composait de quarante personnes qui venaient en partie de la télé publique et qui avaient à suivre de nombreux stages de formation aux normes de la télévision commerciale, notamment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Le retour de plusieurs membres de la diaspora polonaise travaillant dans les médias américains a également permis de constituer un bon corpus de professionnels d'expérience qui allaient bientôt encadrer tous les autres. Aujourd'hui, Polsat occupe avec TVN une position de leader dans le groupe 4+. La télé publique est encore un peu loin derrière. Sa chaine terrestre reste une chaine généraliste et une licence séparée est accordée séparément à chacune de ses chaines spécialisées. Ici la centrale compte 500 journalistes et techniciens. Le studio central travaille 24 sur 24 dans douze villes de Pologne via des câbles à fibre optique et avec de nombreux correspondants à Washington, Londres, Moscou, Bruxelles et Berlin. Illustration de la télé commerciale qui réussit, Polsat est cotée en Bourse. Elle appartient à un investisseur polonais qui s'occupe de la supervision mais n'intervient pas dans la programmation. Du côté de la télé privée, il semble évident que l'indépendance politique, le professionnalisme, la neutralité et l'objectivité sont la clé du succès. Notre interlocuteur se défend que la télé commerciale d'aujourd'hui puisse avoir une quelconque sensibilité politique. Et même s'il affirme que la tâche a été facile au début pour gagner l'audimat, il reconnaît l'actuelle concurrence avec la télévision publique. Car la loi 93 a donné les mêmes compétences commerciales aux chaines privées et publiques, avec les mêmes limites pour la publicité. Aujourd'hui, la télévision publique polonaise (TVP) est une chaine commerciale qui profite du marché publicitaire. Elle développe la tradition polonaise des séries et maintient le privilège lié à l'Eurovision, à côté des fonds publics et d'une redevance reconnue inefficace; payée par seulement 30% des Polonais. …Qui fait bouger les lignes de la télé publique ? Le président et les représentants de la TVP qui nous reçoivent le confirment. «On est un des joueurs du marché!... Aujourd'hui, plus de 80% de notre budget viennent de la publicité et les spectateurs refusent de payer une redevance pour un contenu commercial. Mais en dépit de tout, la TVP reste une des plus grandes télés en Europe du point de vue de l'audience. Paradoxalement c'est celle qui reçoit le moins de subventions de l'Etat...» La situation compliquée du financement de la télévision publique complique la tâche de ses dirigeants qui veulent garder à la fois la qualité du contenu et la part du marché. «On se comporte conformément au statut qui nous impose l'information qui coûte très cher (50% des programmes), la religion, la culture... Alors, on produit du loisir pour payer les frais de l'information. On signe des contrats avec des stars de qualité, on organise des concours pour scénarios de films et de séries télévisées. On fait tout pour garder un statut de TV maîtresse où travaillent des gens créatifs, ambitieux et convaincus de la mission du service public. C'est cela le rôle du régulateur». La TVP c'est aussi 3.800 employés répartis entre le siège central et les seize régions de Pologne (il y a huit ans, ils étaient 7000 employés) et 35 syndicats. Ces effectifs nettement supérieurs à ceux des télés commerciales s'expliquent par le fait que la télé publique crée ses propres programmes là où les privés en importent généralement. Les réunions quotidiennes de la rédaction, et celles périodiques de la conférence et du conseil de la rédaction permettent quant à elles de parer à une dépendance quasi naturelle vis à vis du parti au pouvoir et du gouvernement. Entre les deux, le code de la presse et de la liberté d'expression et la clause de conscience doivent bien souvent trancher. Avant 89, le système polonais des médias était basé sur la limitation, la censure, le monopole, un système de licences concernant la presse écrite et un monopole du papier. Et puis ce fut le passage immédiat de la prison des idées aux libertés illimitées du marché. Après 89, il a suffi de supprimer le monopole sur la presse écrite qui allait être entièrement rachetée par les propriétaires privés. Pour les radios et les télés, il fallait introduire un système de licences. Le Conseil national de l'audiovisuel créé en 92 en aura la charge. Sur le marché, coexistent désormais le commercial et le public : des médias qui possèdent une licence, tandis que la télé et la radio publiques poursuivent leur activité sur la base d'une loi spécifique supervisée par le conseil en tant que société d'actionnariat appartenant à l'Etat. Comme chaque société, elle possède des actions qui ne peuvent être vendues. Les revenus potentiels ne peuvent pas non plus être utilisés par leur propriétaire qui est l'Etat mais doivent être directement réinvestis dans les besoins de la télé. Une presse écrite entièrement libérée, en concurrence sur le marché et comprenant de grandes inégalités, une agence de presse publique PAP qui commercialise des sous produits pour s'assurer une autonomie, une agence de presse catholique fonctionnant comme une entreprise privée, des médias privés à grands moyens et des médias publics doublement engagés dans la voie commerciale et celle du maintien de la qualité, près de vingt mille journalistes et annuellement une pléthore de nouveaux diplômés... Voilà à quoi ressemble à peu près le paysage médiatique polonais. Mais le tableau resterait inachevé si l'on n'y ajoutait les instances nombreuses de régulation et d'autorégulation ; un Conseil National de l'Audiovisuel, un code de la presse qui pénalise encore la diffamation, une association des journalistes et autant d'organisations professionnelles et de syndicats de métiers que de médias, un conseil de la rédaction par média public ou privé, un comité d'éthique ordinaire, un institut de monitoring à la pointe du progrès numérique qui enregistre et analyse tout au quotidien, un observatoire de la liberté des médias qui va jusqu'à défendre cette liberté devant les tribunaux... On retiendra aussi l'expérience de ce magazine mensuel entièrement consacré à la profession. Tenu par un journaliste professionnel, ancien opposant au régime communiste, le magazine joue le rôle d'un observatoire interne et sert de baromètre de la qualité... C'est là une partie du paysage médiatique polonais, un pan entier de l'héritage de «Solidarité» qui fait place aux divergences et aux compromis et qui dit que la philosophie de la génération 89 a la peau dure, encore pour un temps.