• Affaire reportée au 29 février Encore une fois, l'affaire «Barraket Essahel» est au cœur de l'actualité judiciaire sous notre ciel et ne cesse de faire couler beaucoup d'encre. En effet, la deuxième séance tenue, hier, devant la Cour d'appel militaire n' a pas fait exception, ayant été marquée de troubles. Mais avant tout, il convient de rappeler que l'affaire du présumé complot de Barraket Essahel consiste en l'arrestation de 244 militaires, accusés par le régime déchu d'«avoir préparé le scénario d'un coup d'Etat contre le régime». Inculpés d'appartenance à la mouvance islamiste «Ennahda» et de conspiration portant atteinte à l'ordre public, 26 officiers supérieurs, 90 officiers subalternes et 128 sous-officiers et hommes de troupe ont été arrêtés au mois d'avril 1991 par la sécurité militaire pour être finalement livrés au ministère de l'Intérieur. Une arrestation qui a duré des années pendant lesquelles les accusés ont été torturés, «isolement, privation de sommeil, insultes, gifles, coups de poing sur le visage, position du poulet rôti, suspension par les pieds avec les mains liées derrière le dos, suffocation dans un bain d'eau plein de saleté, toutes formes de torture et d'humiliation pour le moins inhumaines». Libérés, ces officiers ont été mis au chômage, privés de leur emploi et radiés de la fonction publique. Une affaire passée sous silence 20 ans durant, qui, beaucoup plus qu'un simple procès judiciaire, constitue aujourd'hui une affaire d'Etat. Une affaire qui n'est toujours pas achevée puisque, comme le soutiennent certains avocats, toute la lumière n'est pas encore faite sur plusieurs maillons de cet imbroglio. Les accusés dans cette affaire sont l'ex-président Ben Ali, l'ancien ministre de l'Intérieur Abdallah Kallel, l'ancien directeur général de la sécurité nationale, Mohamed Ali Ganzoui, l'ancien directeur général de la sûreté présidentielle, Ezeddine Jenaieh, et certains cadres sécuritaires partis à la retraite, pour avoir torturé les détenus, au sens physique et moral du terme. Pour ce qui est des accusations portées contre Abdelaziz Ben Dhia, ancien porte-parole de la présidence de la République, et Habib Boularès, ancien ministre de la Défense, elles ont été rejetées par l'enquête préliminaire. La séance d'hier tenue par la Cour d'appel s'est déroulée dans une ambiance tendue. Présidée par le juge Nabil Guizani, cette séance a connu une interruption de près de 30 minutes, suite à une agitation provoquée par un débat animé opposant maître Hsan Ghodbani, avocat de l'accusé Mohamed Ali Ganzoui, et maître Najet Laâbidi, du côté de la partie civile. Si le premier a reproché à la seconde le fait d'avoir trop médiatisé l'affaire, ayant participé à une émission radiophonique, maître Laâbidi lui a rétorqué qu'elle était présente en tant que témoin sur les violations des droits de l'Homme à l'époque du régime déchu, sans pour autant avoir eu l'intention de médiatiser l'affaire afin de bénéficier du soutien de l'opinion publique. C'était donc après près de 6 heures de plaidoyers lancés des deux côtés, que le juge a décidé de reporter l'affaire au 29 février 2012, pour l'audition des généraux Hédi Ben Hassine, chef d'état major des armées, Ridha Attar, chef d'état major de l'armée de l'air, Mohamed Chedhli Chérif, chef d'état major de la marine, Mohamed Hafidh Farza, ancien directeur général de la sécurité militaire, Mohamed Guezguez, ancien procureur général de la Cour militaire permanente de Tunis, Faouzi Aloui et Mustapha Ben Moussa, de la sécurité militaire, et des deux médecins qui ont assisté les victimes au cours de leur détention. Décision contestée Après une séance de près de six heures et une longue réflexion, «la montagne a accouché d'une souris», selon les termes d'un assistant qui pense que l'on n'a pas encore échappé à «la magistrature des ordres». Comme il le laisse entendre, la justice traîne pour des raisons politiques et l'affaire ne mérite pas tout ce temps-là pour être résolue. De son côté, maître Amor Saâdaoui, représentant de la partie civile, considère que la décision du juge portant sur l'audition des témoins individuellement dans des bureaux clos ne fera qu'affecter la transparence de la démarche judiciaire. De ce point de vue, il appelle à ce que les témoins soient entendus en présence des plaignants, des accusés et des avocats : «Nous savons que l'affaire est très délicate, surtout qu'elle concerne de hauts responsables militaires. Toutefois, cela ne peut nous empêcher de chercher la vérité pour notre mémoire collective ainsi que pour l'histoire de ce pays que nous aimons tous. Sans jamais avoir l'intention de verser dans la vindicte, nous espérons identifier tous les accusés pour la mémoire collective et l'histoire du pays. Indépendamment des personnes, c'est cette justice transitionnelle pour laquelle nous opterons tous», avance maître Saâdaoui, avant d'ajouter que Mohamed Guezguez, ancien procureur général à la Cour militaire permanente de Tunis, et Mustapha Ben Moussa, de la sécurité militaire, assistaient souvent à l'interrogatoire des victimes au ministère de l'Intérieur et étaient au courant des tortures qu'ils subissaient sans relâche de la part de leurs tortionnaires. L'avocat de la partie civile pense également que le rejet par la Cour militaire des plaintes portées contre Abdelaziz Ben Dhia et Habib Boularès semble être injustifié, vu que ces deux accusés occupaient à l'époque des postes de décision et n'ont pas réagi face à la violation des lois en vigueur par les parties accusées. Un avis partagé par une de ses collègues, soulignant qu'il ne faut jamais perdre de vue que «la justice est le pilier de la civilisation».