Les membres de l'Assemblée nationale constituante ont-ils décidé d'accomplir, enfin, la mission pour laquelle ils ont été élus le 23 octobre 2011, à savoir l'élaboration de la Constitution de la deuxième République ? Quel regard portent-ils sur le retard (de 3 mois) qu'ils ont pris pour commencer, hier, à élire le rapporteur général de la commission chargée de la coordination et de la rédaction de la Constitution ainsi que ses deux assistants, à annoncer les groupes parlementaires et à ouvrir la candidature aux commissions constituantes et législatives ? Comment réagissent-ils aux appels de certains revendiquant la formation d'un gouvernement de salut national, eu égard à la situation particulière par laquelle passe la Tunisie ? Hier, au Palais du Bardo, les constituants ont été nombreux à répondre à l'appel du Dr Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC, les conviant à une séance plénière dont le menu est assez fourni. Ainsi, d'après l'ordre du jour de la séance plénière, les élus du 23 octobre avaient à élire le rapporteur général de la Constitution et ses deux assistants, à cautionner le choix des deux assistants du président de la commission de coordination et de rédaction de la Constitution et à s'informer de la constitution des groupes parlementaires et de l'ouverture des candidatures aux commissions constituantes et législatives. Un ordre du jour dont la mise en application pourrait prendre plus d'une demi-journée, mais nos constituants, qui sont déjà rompus aux discussions et aux débats interminables, se déclarent prêts à relever le défi. Un appel compréhensible Pour le jeune constituant Foued Thameur (Parti du Front patriotique tunisien), «l'Assemblée n'a pas pris de retard dans son travail, contrairement à ce que beaucoup de gens prétendent en oubliant que la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics, appelée la petite Constitution, n'est pas moins importante que la Constitution elle-même. C'est vrai que sa discussion et son adoption ont pris du temps mais on ne pouvait pas faire autrement. Quant au règlement intérieur de l'Assemblée, il a été abrégé de 360 à 141 articles. Notre objectif était d'accélérer son adoption afin de pouvoir nous consacrer à l'essentiel de notre mission, je veux dire la rédaction de la future Constitution. Et s'il y a du temps perdu (23 octobre-22 novembre 2011, date de la première réunion de l'ANC), c'est bien la responsabilité de la Troïka qui a consommé des semaines et des semaines pour pouvoir s'entendre sur le partage des portefeuilles ministériels». Quant à Rafik Tlili, constituant élu sur les listes du Congrès pour la République (CPR), il considère qu'à «l'exception du mois relatif aux tractations entreprises par Ennahdha, Ettakatol et le CPR en vue de la formation du gouvernement de Hamadi Jebali, tout s'est passé vite, voire à un rythme très accéléré. De la petite Constitution au règlement intérieur de l'Assemblée en passant par l'élection du président de la République et l'obtention par le gouvernement de la confiance des constituants, ceux-ci se sont mobilisés pour que les discussions ne traînent pas longtemps afin de répondre aux attentes des citoyens qui veulent nous voir nous consacrer, au plus vite possible, à l'élaboration de la Constitution et à la parachever dans les délais convenus». Pour ce qui est de l'appel à un gouvernement de salut public, il relève que «c'est un appel compréhensible au regard de l'instabilité de la situation sociale et sécuritaire dans le pays, ce qui commande la conjugaison des efforts de tous dans la mesure où l'intérêt supérieur de la Tunisie l'exige. Cependant, je suis pour un gouvernement à vocation politique qui pourrait faire appel à des technocrates pour certains dossiers de développement bien déterminés». La Constitution sera prête avant octobre 2012 Une position que ne partage pas le constituant Habib Ellouze (Ennahdha) qui considère que le gouvernement actuel «est bien un gouvernement de salut public. Nous n'avons pas à sauver un gouvernement censé sauver le pays. Mieux encore, je considère que nous constituons un modèle dans la région arabe dans la mesure où nous avons réussi à former un gouvernement comprenant des islamistes et des laïcs dans un climat de cohésion et d'accord sur l'essentiel». Pour ce qui est de la rédaction de la Constitution, Habib Ellouze exprime sa conviction que «la prochaine étape verra l'émergence de nouveaux consensus. Cependant, nous continuerons à tendre la main à toutes les forces qui accepteraient de travailler avec nous sur la base de principes, communs et de valeurs partagées. «De toute façon, souligne-t-il encore, nous sommes déterminés à interagir avec les autres forces, à les influencer et à profiter de leurs apports. Volet Constitution, j'ai le sentiment qu'elle sera prête avant fin octobre prochain dans la mesure où nous disposons de plusieurs projets, y compris le projet d'Ennahdha, qui faciliteront la tâche aux constituants et leur permettront d'achever leurs travaux dans les délais». Un retard qui aurait pu être évité «C'est un retard qui n'est pas très inquiétant mais qui aurait pu être évité si on n'avait pas tenu à certains détails qui devaient être réglés facilement et si certains constituants n'avaient pas cherché à faire leur campagne électorale en vue des prochaines échéances bien avant les délais. Cependant, il ne faut pas minimiser l'importance du débat qui a accompagné l'adoption de la petite Constitution et du règlement intérieur de l'ANC», tient à préciser Walid Bennani, constituant élu sur les listes d'Ennahdha. Il a relevé que l'appel à un gouvernement de salut public «est un appel prématuré qui n'a pas de raison d'être. Ceux qui revendiquent aujourd'hui ce gouvernement qu'ils qualifient de gouvernement de salut national ont déjà refusé de participer au gouvernement actuel. Je ne vois pas pourquoi ils reviennent à cette idée. Quant à Caïd Essebsi, il a déjà déclaré qu'il ne voulait plus participer à la vie politique et je n'arrive pas à comprendre pourquoi il revient en nous annonçant son initiatives tardive». De son côté, le constituant Néjib Hosni (indépendant élu sur la liste l'Espoir au Kef) est convaincu que la Constituante n'a pas enregistré de retard depuis l'élection de ses membres le 23 octobre dernier. «Contrairement à ce qui est propagé un peu partout, nous avons travaillé d'arrache-pied pendant les trois derniers mois, seulement le citoyen ne peut pas saisir la complexité des procédures à respecter. Car il faut le dire et l'expliquer aux profanes, on ne peut pas procéder à l'élaboration de la Constitution avant que les règles du jeu ne soient fixées». Comment réagit-il à l'appel à la formation d'un gouvernement de salut public ? Le constituant, qui tient à préciser qu'il ne défend pas la Troïka, n'y va pas par quatre chemins pour faire remarquer que ceux «qui ont rejeté l'offre de faire partie du gouvernement Jebali se sont rendu compte de leurs erreurs. Seulement, on ne peut plus perdre encore du temps et revenir à la case départ. Je pense qu'il faut laisser le gouvernement travailler».