En dehors des murs de la Constituante, il y a aussi moult débats qui s'ouvrent sur plusieurs fronts pour donner leur avis sur le devenir démocratique du pays. Autant de réflexions, d'idées et d'initiatives embryonnaires portant des projets constitutionnels qui viennent, ainsi, essaimer sur la scène nationale. En effet, indépendants, partis politiques, organisations syndicales et société civile se penchent sur les nouveaux contours de la Constitution tunisienne et les fondements de la deuxième République qui se profile à l'horizon. Et les défenseurs de la veuve et de l'orphelin sont, également, de la partie. Eux aussi ont leur mot à dire. C'était autour d'une table ronde, organisée, hier au Palais de Justice, par l'Ordre national des avocats de Tunisie, qu'un projet de constitution, élaboré par le comité d'experts juridiques relevant de l'ex- Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, a fait l'objet d'un débat animé sur fond de critiques. Cette réunion puise dans l'esprit d'engagement des hommes de la profession à mettre la main à la pâte, répondant, de la sorte, à l'appel du devoir, afin de contribuer à l'édification de la Tunisie nouvelle. Dans son allocution de bienvenue, le bâtonnier Chawki Tebib a relevé qu'il est fort intéressant d'aborder le sujet de la Constitution qui ne cesse de susciter tant de controverses. Centre d'intérêt de tous les Tunisiens, la nouvelle Constitution intéresse beaucoup plus les avocats, en tant que juristes, les mieux habilités à participer à sa rédaction. Cela, à ses dires, ne signifie nullement une prise de position, mais une initiative, parmi d'autres, à concevoir un projet de texte constitutionnel. «Et partant de la conviction que l'élaboration d'une telle Constitution qui pourrait durer un siècle devrait mobiliser toutes les forces vives de la société, on se rend compte que notre rôle est d'une grande importance», souligne le bâtonnier, souhaitant que la prochaine Constitution, tant attendue, fasse l'objet d'un consensus national. Avocat et membre du comité d'experts juridiques, Me Amine Mahfoudh a relevé que la profession n'a pas manqué, au fil de l'histoire de la Tunisie, de jouer un rôle de premier plan dans le combat pour la libération du peuple, la défense des droits et des libertés et l'indépendance du pays et la reconquête de sa souveraineté. Et bien que la Constituante de 1959 n'ait pas trouvé, à l'époque, l'appui nécessaire de la société civile, celle d'aujourd'hui a la chance de voir la scène politique et associative bouillonner d'idées et de propositions prêtes à être réalisées. Par ailleurs, l'orateur a axé sa communication sur les grandes lignes de ce projet constitutionnel, au niveau de la méthodologie adoptée et du contenu élaboré. Sur le plan méthodologique, quelle démarche peut-on suivre pour finaliser ce projet ? Me Mahfoudh a indiqué que le comité d'élaboration concerné s'est interrogé, au demeurant, sur les modèles de Constitution à adopter. Et là, vaut-il mieux s'inspirer des systèmes occidentaux existant en France, en Allemagne et aux Etats-Unis…, ou de partir de la réalité tunisienne ? Pour trancher, le comité a décidé de mettre le texte dans son contexte tunisien, étant donné, a-il-rappelé, que la Tunisie dispose de multiples expériences en la matière, à travers son histoire. L'alternative consiste à rompre, en grande partie, avec l'ancienne Constitution qui avait, en raison des amendements qu'elle a subis à maintes reprises, consacré la malversation et l'abus du pouvoir. Sans pour autant négliger l'ensemble des acquis dont elle s'est prévalu au fil des années. «Ce que l'on doit reprocher à la Constitution de juin 59, c'est plutôt le déséquilibre entre les pouvoirs et leur instrumentalisation au service du pouvoir exécutif», précise-t-il. Qu'il s'agisse d'un régime présidentiel ou parlementaire, a-t-il ajouté, l'essentiel est de l'adapter au vécu tunisien, en conciliant tous les pouvoirs. Pour ce faire, le comité a opté pour un régime mixte. Il a choisi aussi une version concise, eu égard au fait que la Constitution n'est pas un contenair législatif. «Il ne faut pas rentrer dans les moindres détails…», poursuit-il. Elle devrait être autant fiable que valable pour des décennies et des générations. Et le conférencier de préciser que ledit projet porte essentiellement sur les libertés et l'organisation des pouvoirs. Ce projet s'est également limité à une seule chambre parlementaire. Soit celle des députés ou celle des conseillers. Car l'exercice démocratique s'illutre surtout dans la pratique. Au niveau du contenu, le projet de Constitution élaboré par le comité a proposé un préambule qui a pris en considération celui de la Constitution de 59, dans le but de créer une certaine continuité. Sauf que le projet a commencé par la définition des libertés et des droits politiques et socioéconomiques, en ajoutant le droit à un environnement sain et un cadre de vie de qualité. La définition de l'Etat est contenue dans l'article 19 dudit projet. Il stipule que «la Tunisie est un Etat civil, libre, indépendant et souverain. L'islam est sa religion, l'arabe est sa langue et la république est son régime». Cette conception accorde la priorité à la question des libertés. Pour le régime politique, Me Mahfoudh a relevé que le projet stipule que le Chef de l'Etat devrait être élu pour seulement deux mandats, chacun de cinq ans, avec des prérogatives limitées. Le chef du gouvernement bénéficie lui aussi de certaines prérogatives, afin de créer un équilibre entre tous les pouvoirs. Le projet insiste aussi sur le renforcement de la magistrature, la consolidation de la démocratie locale et le maintien de l'actuelle instance supérieure des élections. Cette conception n'a pas manqué de susciter certains reproches. Les intervenants ont relevé que ce projet est loin d'être objectif. Sa rédaction n'a pas pris en considération la volonté du peuple et ses choix. Ils critiquent sa tendance ouvertement libérale. D'autres intervenants se sont interrogés sur les mécanismes d'amendement, de la prochaine Constitution qui doit être adaptée à son époque.