Tout est à revoir : la politique de prévention et de lutte contre la corruption, le cadre juridique régissant les instances, les commissions et les parties intervenantes, la synchronisation entre ces dernières, la cartographie des domaines les plus vulnérables à la corruption, etc. Des réformes en profondeur doivent être entreprises par le gouvernement dans le but d'installer un système efficient de lutte contre la corruption et la malversation. C'est la conclusion d'un débat entrepris, hier, lors d'une table ronde, par un ensemble d'associations, de commissions nationales, d'experts et de juristes. Un débat qui, du moins, reste ouvert. Ont pris part à cette table ronde le ministre de la gouvernance et de la lutte anticorruption, Abderrahman Ladgham, juge conseiller auprès du président de la République, Ahmed Ouerfelli, Abdelkader Zgoulli, premier président de la Cour des comptes, ainsi que des représentants de l'association «Nour», du Réseau national de la lutte contre la corruption (Rnac), de l'Association tunisienne pour la transparence financière (Attf), de la Commission nationale d'investigation sur les faits de malversation et de corruption (Cnimc), etc. De même, le coordinateur du programme «Transparency International» pour l'Afrique et le Moyen-Orient, Me Manuel Pirino, et un autre représentant de l'instance internationale, Me Agatino Camarda, étaient présents, apparemment en tant qu'observateurs... Le débat a ainsi eu plus d'enjeux que celui de la réorganisation du cadre des parties intervenantes dans ce phénomène qu'est la corruption. Le ministre de la gouvernance et de la lutte anticorruption a précisé que la mission de la Commission nationale d'investigation sur les faits de malversation et de corruption a pris fin et qu'une autre commission nationale prendra sa place très prochainement. Le cadre juridique relève plus d'une interrogation de la part des juristes qui appellent à la révision de la règlementation gérant de telles instances nationales pour ne pas avoir une interférence avec les tâches du cadre judiciaire. Le ministre a indiqué que son département œuvre, entre autres, à lutter contre la corruption dans le domaine des appels d'offres publics qui se chiffrent à 20% environ du PIB, outre le recouvrement des biens pillés à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Il a précisé, d'autre part, que le ministère est en train de mettre en place des programmes de coopération avec le Pnud et un certain nombre d'instances internationales afin de revoir la réglementation et les normes tunisiennes en la matière. «Des formations et des évaluations seront lancées avec l'apport financier de la Banque mondiale pour améliorer le rendement du système de lutte contre la corruption», a-t-il ajouté. Pour ce qui est du recouvrement des biens pillés à l'intérieur, le ministre a indiqué que cette procédure sera effectuée dans le cadre de la transition démocratique. Manque de synchronisation L'universitaire et membre de la Cnimc Néji Baccouche affirme qu'un problème de fond est évoqué désormais avec le gel des activités de la commission dont il fait partie. «La Commission nationale d'investigation sur les faits de malversation et de corruption (Cnimc) a été lancée après la révolution par le décret-loi n°120 de novembre 2011, et maintenant il est important de réactiver cette instance qui a fourni des efforts considérables. Nous avons reçu près de douze mille requêtes dont deux mille ont été résolues devant la justice. Actuellement, les dossiers qui ne sont pas encore traités par la justice comportent des affaires d'une certaine acuité. Des dossiers qui restent gelés et qui risquent de se perdre d'une manière ou une autre. Il y a des lois qui doivent être révisées et d'autres qui sont à réactiver impérativement pour continuer le travail déjà commencé. D'ailleurs, le gouvernement doit se décider quant à la réactivation de cette commission et nommer des indépendants qui peuvent assurer les tâches qui lui incombent. L'ampleur du phénomène de la corruption et de la malversation est telle qu'il touche outre le domaine des politiques, le domaine du droit et de l'administration. La législation a besoin de faire un grand travail pour éradiquer ce phénomène. Le rôle des médias est aussi important pour faire la publicité des actes de malversation», enchaîne Me Baccouche. Selon lui, il y a un manque de synchronisation entre les différentes commissions et partenaires qui opèrent dans la lutte contre la corruption. Le même problème a été évoqué par le président du Rnac, Taoufik Chammari, qui insiste sur «le besoin de mettre les choses au clair pour redéfinir les tâches des différents intervenants, en manque d'entente actuellement». Il a ajouté : «Nous n'avons reçu, précise-t-il, aucun rapport des comité de la confiscation des capitaux des sociétés pillées, ainsi que celui de la gestion de ces biens. De même pour ce qui est du recouvrement de l'argent pillé par la famille du président déchu. On ne peut pas être juge et partie à la fois puisque le pouvoir est la source de toute cette corruption». Le juge conseiller auprès du président de la République, Ahmed Ouerfelli, affirme, pour sa part, que plus de quatre cents requêtes ont touché de grands dossiers de corruption et de malversation. Selon lui, il est temps d'évaluer le système de lutte contre la corruption et de réviser la règlementation qui régit ce domaine. Il y a encore des défaillances et la situation nécessite une clarté dans la vision politique des choses. Le rythme du traitement des dossiers est lent pour plusieurs raisons dont la complexité des lois et l'interférence de certaines conventions internationales qui limitent le champ d'action. Il faut améliorer le cadre législatif tout en respectant ces dernières. Les intervenants ont, entre autres, évoqué des problèmes relatifs à la facilitation des tâches des experts et des auditeurs comptables. Aussi, ils ont appelé à l'amendement de certaines lois afin d'avoir plus de clarté concernant les sociétés dont les capitaux sont confisqués. Le débat ne fait que commencer sous les regards des représentants de «Transparency International»...