Ses œuvres résonnent loin des sunlights et des néons. Leur auteur Hayet Chebbi travaille dans la discrétion chez elle. 22 ans que sa recette fait mouche. La commission d'achat du ministère de la Culture vient de lui acquérir un de ses tableaux qu'elle expose jusqu'au 9 mars à la galerie Astrolabe (Le Bardo). Une dizaine de tableaux en acrylique se déclinant en dyptique, tryptique. C'est comme ça souvent pour l'abstraction. Pas de titre évocateur, juste des signes indiquant la toile pour donner libre cours aux amateurs de lui donner un nom. Mais qu'est-ce qui a fait que cette artiste ayant vécu dans une pépinière au milieu d'un univers floral s'oriente plutôt vers l'abstraction que la figuration ? «Un appel intérieur m'a permis de m'orienter vers l'abstraction», souligne l'artiste qui a fait ses premières armes dans la figuration au Centre d'art vivant de Radès, puis a évolué progressivement vers l'abstraction. Ses œuvres aux formes et aux couleurs foisonnantes dégagent une émotion fondamentale devant la vie. «Toute œuvre est le reflet d'une angoisse, d'un malaise, des pressions de la société, de l'ingratitude, de l'égoïsme, des guerres... On ne se sent pas bien dans sa peau alors on essaie de compenser, de se satisfaire par la création, enfin de vaincre l'idée de la mort», explique Hayet Chebbi. Face aux certitudes, l'artiste préfère mettre en avant ses angoisses et ses doutes. Transcender la réalité et donner un sens à la vie, telle est la vision à laquelle elle consacre son œuvre. «Je pense continuer dans cette démarche picturale qui est devenue un antidote contre la mort. La peinture m'épanouit et me permet de vivre au présent». L'effet papillon De par sa formation scientifique, Hayet Chebbi ne s'est pas éloignée du monde microscopique, celui de l'infiniment petit qu'on ne voit pas à l'œil nu. Ces images surgissent de l'inconscient et apparaissent spontanément. Un monde labyrinthique et polyphonique matérialisé dans sa globalité sur la toile. Sur le registre de l'abstrait tout est permis, la théorie du chaos et son effet papillon où le temps prend une dimension plurielle. Les couleurs franches et stridentes sont inspirées de la gamme florale dont elle a été nourrie: orange acide, rouge toxique, vert violent, etc. «L'art est la coïncidence entre l'esthétique et le métaphysique». Un drôle de paradoxe qui interpelle notre intellect et notre conscience métaphysique plutôt que de flatter sans intérêt notre regard. «Indépendamment de sa fonctionnalité, l'art révèle une vérité pour moi-même au niveau de l'esthétique. C'est un plaisir qui aboutit à une perception et à une analyse d'un sentiment par rapport au temps et aux idées», théorise-t-elle. Transgresser les règles formelles pour aboutir à donner une œuvre artistique harmonieuse où le chromatisme des couleurs et son alliance avec les formes créent une perspective renvoyant à la peinture figurative classique. Hayet Chebbi invente un monde pictural dans lequel elle se réfugie contre la mort. «L'artiste essaie de créer un monde à son échelle qu'il peut gouverner et comme la religion, l'art est atteint de métamorphose». Cette vision de l'art comme une seconde religion est l'expression du riche univers de l'artiste qui veut partager à la fois ses angoisses et ses refoulements, mais aussi ses joies et sa vitalité pour vaincre une certaine forme de solitude. Cette démarche féconde garde intacte la faculté de régénération et de métamorphose.