Par Néjib OUERGHI Le débat qui a élu domicile, en début de semaine, à l'Assemblée nationale constituante entre les groupes parlementaires sur le contenu de la nouvelle Constitution a révélé la complexité de la tâche qui attend les constituants au moment de l'élaboration de La loi fondamentale. Un texte censé rassembler les Tunisiens et être en cohérence avec l'esprit et la lettre de la révolution du 14 janvier 2011. Une complexité qui, à défaut d'un consensus salvateur, risque d'éterniser la rédaction de ce document, d'attiser le doute, l'incompréhension et les divisions et de plonger le pays, actuellement en butte à des difficultés inextricables, dans l'inconnu. Un débat, s'il dérape, qui risque de nous donner des sueurs froides dans le dos, laissant apparaître au grand jour des différences d'appréciations, d'approches et de choix à propos des références essentielles de cette Loi fondamentale. Le péril, le vrai, serait de voir toutes les sensibilités représentées au sein de l'Assemblée nationale constituante verser dans une polémique sans fin qui dévierait l'acte d'institution par lequel le peuple souverain crée sa forme de gouvernement, vers des questions identitaires qui divisent plus qu'elles ne construisent. Pourtant, il est communément admis que l'élaboration d'une Constitution est un projet qui porte sur un ensemble de règles juridiques relatives à l'organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics. Tout le danger serait d'oublier d'orienter les efforts vers la définition des voies et moyens devant fixer les limites au pouvoir afin d'éviter tout retournement ou résurgence d'une nouvelle dictature et de mettre en avant le postulat faisant de la «charia» la référence essentielle de la nouvelle Constitution. Dans l'étape actuelle que connaît la Tunisie post-révolution, il ne faut pas perdre de vue que la Constitution a pour fonction essentielle d'établir les règles du jeu de la vie politique, de faire vivre durablement les institutions et de protéger davantage les droits et les libertés. Situer le débat sur un autre registre, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Cela équivaut à semer la discorde et précipiter le pays dans des turbulences dont l'issue ne peut que handicaper le processus de transition vers la démocratie et de mise en place de l'Etat civil. A l'évidence, un consensus est toujours possible, il peut être cristallisé autour de référentiels qui ne soulèvent ni réserves ni refus chez la majorité des familles politiques, à l'instar des acquis réformistes de la Tunisie , de la consécration des principes universels de liberté et des droits de l'Homme et des idéaux qui sont à l'origine de la révolution du 14 janvier 2011. Des principes qui, au demeurant, suscitent des convergences et constituent les fondements de l'Etat , garant de la pérennité des institutions républicaines, de l'exercice par les Tunisiens de leur pleine citoyenneté, de l'alternance pacifique au pouvoir et de l'enracinement de l'esprit réformiste et moderniste. Un Etat qui ne renie pas l'identité arabo-musulmane de la Tunisie, ni son ouverture sur l'autre, et encore moins la souveraineté du peuple. Prendre en ligne de compte cette donne est d'autant plus impérieux qu'il faut se rendre à l'évidence que, si la révolution a été à l'origine de l'unité des Tunisiens et de leur engagement citoyen pour la dignité et la liberté, l'élaboration de la Constitution ne doit pas se transformer, par le jeu de certains intérêts étriqués ou de visions sectaires, en source de frictions et de division pour un peuple qui a été toujours mû par les valeurs de juste milieu, de modération et de tolérance. Même si les facteurs d'optimisme l'emportent actuellement au regard du débat qui a eu lieu à l'ANC (Assemblée nationale constituante) et les intentions avouées par les partis politiques les plus influents, dont la Troïka au pouvoir, qui plaident, en termes voilés parfois, pour l'élaboration d'un texte simple qui ne viendrait pas verrouiller les institutions publiques ni prendre en otage la souveraineté du peuple en l'immunisant contre tout retour à la dictature, à la corruption et à l'arbitraire. Le chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, n'avait-t-il pas déclaré en novembre 2011, juste après l'élection de l'Assemblée constituante, la disposition de son mouvement à conserver l'article 1 de la Constitution de 1959 qui déclare que l'Islam est la religion, et l'arabe est la langue officielle du pays et qu'il n'y aura pas d'autres références à la religion dans la Constitution. La même position est aujourd'hui développée par les élus du CPR et d'Ettaktol. Le plus important, dans l'étape actuelle, serait de voir les partis politiques représentés à l'ANC formuler une position définitive et sans équivoque sur cette question qui, par le jeu des influences, ne doit pas se transformer en une source de blocage ou un alibi pour faire durer le statu quo. Il s'agit là d'un préalable qui rend le consensus en la matière, non seulement souhaitable, mais indispensable. Pour la pérennité du système républicain et d'un Etat qui rassemble tous les Tunisiens autour de principes et de valeurs partagés. C'est par ce moyen qu'il sera possible d'accélérer le processus de transition du pays vers la démocratie et d'ancrer durablement les valeurs de liberté, de démocratie et de dignité. Et c'est, également, par ce moyen que la Tunisie pourra s'épargner les écueils d'un déchirement et de divisions dont les conséquences ne peuvent qu'être désastreuses pour son unité et pour sa révolution.