C'est dit : le Syndicat des métiers des arts plastiques (Smap) a décidé de rompre tout lien avec l'Union des artistes plasticiens tunisiens (Uapt). En pratique, cela signifie ne plus accepter de doubles adhésions avec l'union, de collaborer même avec la Commission supérieure d'investigation sur la corruption (avec le ministère de l'Enseignement supérieur aussi), sur les dossiers de corruption qui impliquent, entre autres, des membres de l'union. Ces décisions, annoncés récemment, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue au siège du syndicat des journalistes, par le secrétaire général, Amor Ghdemsi, viennent, entre autres raisons, «suite à la campagne de dénigrement lancée par l'Uapt contre le syndicat», a expliqué ce dernier. « Depuis le 14 janvier, nous avons tenté d'établir un pont de dialogue entre les différentes structures qui régissent le ‘‘secteur''. Une possible communication avec le ministère de la Culture nous a permis de faire part de nos idées, de nos projets et de parler de l'importance du rôle des artistes et des autres associations. Mais voilà que certains ont décidé de rompre ce pont et d'utiliser les médias pour lancer une campagne mensongère et diffamatoire à notre encontre», a-t-il déclaré. A l'origine de ce récent conflit, le congrès qui s'est tenu en juin dernier à Hammamet et qui a vu la participation de plusieurs parties concernées, dont l'Uapt (1968) et le Smap (2009). Un échec, selon Ghdemsi, qui n'a fait que souligner et gonfler l'abcès déjà existant. Entre autres reproches faits à l'union dont les membres continuent, selon Ghdemsi, dans le même esprit d'avant le 14 janvier, il y a eu un article publié après le congrès, dans un quotidien de la place, qui est venu confirmer, aux yeux des membres du syndicat, l'impossible collaboration entre les deux corps. «Comment parler d'objectivité, alors même que l'auteur de cet article a essayé de saboter la création du syndicat en 2009. Le syndicat existe avec de vrais projets et de vraies idées, nous n'avons plus à légitimer cela», a-t-il insisté. Rupture consommée ? Il y a eu également une rencontre qui s'est tenue, en janvier dernier, réunissant les deux structures et qui visait, au dire de Amor Ghdemsi, à dresser un état des lieux du «secteur», parler des vrais problèmes rencontrés par l'artiste tunisien, de son devenir pour pouvoir proposer des projets communs. Mais voilà que l'on se serait retrouvé face au même constat: du creux sonore et rien de concret. Bref, encore un échec... «L'Uapt, comme à son habitude, essaye de tout s'accaparer en faussant les faits et en se présentant comme le leader avec les autres associations comme ramifications», a encore déclaré le secrétaire général du syndicat. Et de continuer : «A l'heure du renouvellement et du nouveau souffle, l'union, dont certains membres n'obéissent pas aux conditions d'admission, s'est contentée de remettre à jour des projets qui datent de 2002!» Qu'en est-il alors du projet proposé par le syndicat lors de cette rencontre? Ghdemsi nous a affirmé que le Smap avait insisté dans son projet sur l'importance de la pluralité des associations qui est censée enrichir le secteur et contrer l'idée de l'association matriarche unique qui n'est pas sans rappeler le principe du parti unique, sur la transparence et la démocratie dans la prise de décisions, la coupure totale avec les anciennes pratiques et la création d'une relation saine et responsable avec le pouvoir exécutif (en premier lieu, le ministère de la Culture). Il était également question de l'établissement d'une cellule de coordination entre les différentes structures et l'instauration d'une sorte de haute instance des arts plastiques (nous y reviendrons). Le secrétaire général du Smap a également parlé, lors de cette conférence, de la Fédération tunisienne des arts plastiques qui a vu le jour après le 14 janvier 2011 et dont la sémantique, comme il le rappelle, implique le rassemblement de toutes les associations structures du secteur, alors qu'il n'en est rien en réalité... «La décision de la création de cette fédération est venue du précédent ministre de la Culture, suite à une série de plaintes contre l'Uapt, ce qui ne peut que remettre en cause son indépendance», a-t-il affirmé. Cela est d'autant plus confirmé, selon le SG, que ladite fédération a été représentée dans la commission d'achat, alors même qu'elle n'avait pas encore de visa (?!). Et de continuer : «L'existence de structures pas vraiment indépendantes avec des membres autoproclamés n'annonce rien de bon. Cela risque de se répéter avec les récentes nominations du nouveau ministre et qui vont, malheureusement, plus dans le sens des décisions politiques que réformatrices». Il a, par ailleurs, mentionné qu'il aurait fallu plus de consultations avec les gens du métier avant la prise de décisions qui incluent la nomination, dans des postes de responsabilité, de personnes sympathisantes avec l'ancien régime. Il a même donné l'exemple d'un artiste «qui a été nommé chargé de mission au cabinet du ministre de la Culture, alors qu'il est connu pour avoir illustré un recueil de poèmes offert à Ben Ali en 2009, sans oublier une sculpture dédiée au régime à Sfax...», a-t-il précisé. Et les vrais problèmes ? A propos de la situation de l'artiste tunisien et des projets de réformes, le photographe plasticien, Ahmed Zelfani, n' a pas hésité à parler du clientélisme et de la corruption qui infestent, particulièrement, la commission d'achat, en insistant sur le rôle social, avant tout, du syndicat qui n'a pas toujours été efficace, selon lui... A cela, Ghdemsi a répondu, en rappelant le sit-in mené par le Smap, en juin dernier, en réaction à la non-reprise des activités de la commission qui a été réactivée, deux semaines après, avec une nouvelle composition et des conditions exigées par le SMAP, à savoir, entre autres, le vote exclusif aux gens du métier, l'exposition annuelle des acquisitions de la commission et la diminution du taux d'imposition de 15 à 5%. Ce dernier a, par ailleurs, noté que la commission n'est que consultative et que la décision finale, quant aux achats revient toujours au ministre. « Certains nous accusent de vouloir avoir mainmise sur la commission, alors que nous remettons en cause jusqu'à son existence», a-t-il rappelé. Pour ce qui est des dossiers de corruption, le syndicat appelle à la création d'une commission pour étudier sérieusement la question, avec la nécessité d'avoir accès à tous les documents concernant les structures et les personnes impliquées dans ce dossier. La crise est bien là, se creusant de jour en jour, sur fond de clash des écoles, de conflits de générations, de clientélisme, de corruption, de reprise avec des pratiques anciennes, de règlements de comptes. La toile, dessinée par les protagonistes eux-mêmes et par les décideurs dans le secteur, ne révèle rien de bon. Entre- temps, l'artiste tunisien continue à patauger dans ses propres crises, sociales, créatrices et existentielles en essayant, un tant soit peu, de s'accrocher à une bouée qui risque de lui échapper... Quand est-ce qu'on va finir par parler de choses sérieuses...Tiens, par exemple et pour commencer, par ne plus parler de peinture à l'heure du boom des médiums, par ne plus revendiquer des axiomes tels que l'importance du rôle de l'artiste dans la cité... Qu'on se le dise, l'artiste est là avec des responsabilités et des droits. Il est sorti de sa caverne, depuis belle lurette.