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Bourguiba-Ben Youssef
Mémoire
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 03 - 2012


Par Habib Chaghal (*)
Récemment sur trois chaînes tunisiennes M. Marzouki, premier président élu de la République, avait souligné l'appartenance de sa famille au «yousséfisme», sous-entendu qu'il avait hérité de son père — un partisan de Ben Youssef — le militantisme dont il avait fait preuve durant de longues années contre le despotisme.
Cette référence au «yousséfisme» qui a fleuri ces derniers mois ne date pas d'aujourd'hui; déjà au lendemain de son accession au pouvoir, l'ex-président avait pris des mesures en faveur de la famille de Salah Ben Youssef afin de réhabiliter ce grand leader de la cause nationale qui se démarqua de Bourguiba à partir de septembre 1955 en raison de leur différend au sujet des conventions franco-tunisiennes sur l'autonomie interne.
Cette lecture de l'histoire insinuant que Salah Ben Youssef avait raison de radicaliser le mouvement de libération nationale par rapport à la politique des étapes de Bourguiba est proprement tunisienne En effet, comment expliquer que des hommes cultivés continuent à soutenir des thèses que les évènements ultérieurs avaient catégoriquement démentis?
En effet, beaucoup de Tunisiens et parmi eux des universitaires demeurent convaincus qu'il avait raison de s'opposer à Bourguiba au nom d'idéologies nées sous d'autres cieux telles que le communisme, le trotskisme, le baâthisme et le nassérisme. L'échec éclatant de ces idéologies ne représente pas à leurs yeux un motif suffisant pour se réconcilier avec les idées de Bourguiba qui avait rejeté très tôt toutes ces idéologies au nom d'une conscience politique exclusivement nationale.
Ni son soutien au monde libre durant la Seconde Guerre mondiale, ni la proposition de Jéricho pour la solution du problème palestinien, ni la promulgation du Code du statut personnel, ni son aversion pour le communisme depuis les années 50, ni son refus de la laïcité, ni son opposition à l'intégrisme religieux ne semblent convaincre certains de nos intellectuels de la justesse de la vision politique de Bourguiba qui avait su souvent tirer la bonne conclusion des questions politiques les plus ardues.
Il semble que ce qui les incite encore aujourd'hui dans cet entêtement c'est la grande faculté de discernement du fait politique jugée quelque part arrogante de Bourguiba qui avait pu libérer le pays et lui faire récupérer sa pleine souveraineté avec une «habile diplomatie et un nombre limité de martyrs» (selon les termes de C. André Julien).
Rappelons la genèse du différend entre Bourguiba et Salah Ben Youssef.
Salah Ben Youssef, longtemps secrétaire général du Néo-Destour, fut exclu du parti par le bureau politique le 8 octobre 1955 à la suite de son refus de participer au congrès du parti qui devait avoir lieu le 15 novembre à Sfax. Ce fut le point de départ d'une dissidence au sein du mouvement de libération nationale et le début d'une rébellion qui avait fait des centaines de victimes parmi les partisans de Salah Ben Youssef et les forces de l'ordre du nouvel Etat, né d'un compromis entre Bourguiba et Edgar Faure.
En fait, ce fut ce compromis concrétisé par des conventions signées le 21 avril 1955, élaborées sur la base de la déclaration d'autonomie interne annoncée à Carthage par Mendès France en juillet 1954, qui fut à l'origine de la discorde entre Bourguiba et son frère d'armes Salah Ben Youssef. Ce dernier avait pourtant clairement accepté dans une déclaration à la presse le 5 janvier 1955 le principe de l'autonomie interne comme une étape vers l'indépendance de la Tunisie. Je cite: «Le gouvernement de la France a proclamé il y a cinq mois l'autonomie interne de la Tunisie. Le peuple tunisien qui n'avait cessé de lutter, depuis que la France lui a ravi sa liberté et son indépendance en 1881, a néanmoins mis fin à cette lutte en acceptant l'autonomie interne de la Tunisie proclamée par la France, comme une étape transitoire qui permettrait à la Tunisie d'accéder, dans un temps raisonnable, au stade d'un état complètement souverain et indépendant».
Que s'était-il passé donc entre la réunion du bureau politique du Néo-Destour tenue à Genève le 3 août 1954 sous la présidence de Salah Ben Youssef qui avait donné le feu vert à l'accord Bourguiba-Mendès France et le 16 mai 1955 le jour où le secrétaire général du Destour, de retour de la conférence de Bandung, publie au Caire une déclaration contestant le contenu des conventions signées le 21 avril 1955 entre le gouvernement de M. Tahar Ben Ammar et le gouvernement français avec l'aval de Bourguiba.
Alors que le 3 août 1954, le secrétaire général du parti déclarait à la presse internationale que cet accord (avec Mendès France) est actuellement conforme aux directives de M. Habib Bourguiba, les journaux du Caire résumaient le 16 mai 1955 en ces termes la déclaration de M. Ben Youssef: «J'estime que le protocole et les conventions annexes, s'ils sont appliqués, compromettront irrémédiablement notre existence...La responsabilité assumée par M.Habib Bourguiba dans cet évènement est lourde de conséquences...Le gouvernement tunisien supporterait les conséquences des troubles graves qui ne manqueraient pas de se produire s'il ne tenait pas compte de l'opposition du peuple tunisien à cet accord».
Pourtant le peuple tunisien s'exprima en faveur des thèses de Bourguiba à travers l'accueil triomphal qui lui a été réservé le 1er juin par une foule estimée par le journal Le Petit Matin à plus 400.000 personnes pour une population tunisienne d'environ trois millions et demi.
Devant l'ampleur de cet accueil, Salah Ben Youssef fut obligé de se démarquer des accusations portées contre le président du parti dans sa déclaration au Caire. Ainsi lors d'un meeting organisé devant sa maison à Montfleury le 13 septembre 1955, il déclara en présence de Bourguiba: «Si les grands hommes sont immortalisés par leur œuvre, cette puissante manifestation du mouvement de libération nationale qui traduit l'unité de la nation au sein de son parti et de ses formations populaires et dont le Destour est le tenant et l'aboutissant, constitue une œuvre que retiendra l'histoire proche et lointaine au crédit du Combattant suprême».
Le jounal Assabah rapporta dans son édition du 14 septembre 1955 les propos des deux leaders à propos de leurs divergences au sujet de l'accord franco-tunisien.
Ben Youssef: «Je suis convaincu, comme vous tous, que le Combattant suprême n'a jamais considéré les conventions comme un moyen de faciliter la réalisation de l'objectif suprême mais plutôt comme une nouvelle entrave sur la voie de la liberté et de l'indépendance»
Bourguiba: «Ces conventions marquent, en fait, un progrès décisif puisqu'elles visent à dégager le pays de l'administration française directe et qu'en conséquence, elles ne pourront jamais et en aucun cas entraver notre marche vers l'indépendance totale».
Entre ces deux appréciations des conventions signées avec la France que Bourguiba considérait comme une étape vers l'indépendance et que Ben Youssef qualifiait d'entraves à celle-ci, les évènements ultérieurs allaient montrer que Bourguiba avait raison puisque six mois plus tard, le protocole de l'indépendance de la Tunisie avait été signé entre les deux gouvernements.
S'il est inutile de rappeler que les plus proches de Ben Youssef avaient rejoint Bourguiba au congrès de Sfax dont notamment Bahi Ladgham et Mongi-Slim, il est cependant très important, pour l'histoire, d'élucider l'énigme du revirement de la position de Ben Youssef, compagnon de lutte de Bouguiba durant plus de vingt ans.
C'est M. Haykel, l'éminent journaliste égyptien, qui a relaté le déroulement de la guerre de Suez dans une série d'émissions télévisées sur la chaîne qatarie «Al Jazira», qui allait donner un éclaircissement sur la relation entre les préparatifs de la nationalisation du Canal de Suez par Nasser et l'appel de Ben Youssef à la lutte pour l'indépendance totale et immédiate.
Dans l'une de ces émissions, Haykel détailla longuement les appréhensions de Nasser sur les réactions éventuelles de la France et la Grande-Bretagne à la nationalisation du Canal de Suez; après analyse de la situation mondiale, Nasser conclut qu'il y avait des chances pour que ces pays s'abstiennent d'agresser l'Egypte ; il estimait, selon Haykel, que les troupes britanniques étant occupées par la guérilla des nationalistes chypriotes en lutte pour l'indépendance de leur pays ne pourraient pas entrer en guerre si les forces françaises étaient paralysées par une recrudescence de la guerre en Afrique du Nord.
Selon Haykel, Nasser avait misé sur une guerre totale au Maghreb pour occuper les troupes françaises qui venaient d'être «rapatriées» d'Indochine à la suite de la défaite française de Diên Biên Phu au Vietnam ( mai 1954).
Quand le leader égyptien participa à la conférence de Bandung (18-24 avril 1955) il ne pouvait pas saisir une meilleure occasion pour demander à Salah Ben Youssef qui représentait le Destour de conclure une alliance avec le FLN, bien représenté à cette conférence, pour refuser le Protocole franco-tunisien et poursuivre la lutte de libération nationale au niveau de tout le Maghreb.
Pour éviter un retournement de Ben Youssef, Nasser avait dû certainement suggérer à Ben Youssef d'inclure dans sa déclaration à la conférence son hostilité aux conventions franco-tunisienne — ce qu'il fit — et d'en informer par télégramme les responsables du parti à Tunis. Les autorités françaises furent surprises par cette nouvelle position du secrétaire général du Destour alors que par calcul politique, Nasser avait exprimé, lors de cette conférence, sa satisfaction au sujet des accords franco-tunisiens. Avisé de la position de Ben Youssef, Mongi Slim président de la délégation tunisienne avait failli provoquer la rupture des négociations sur l'autonomie interne n'eût été l'intervention énergique de Bourguiba «prisonnier» dans un hôtel à Paris.
La déclaration de Ben Youssef au Caire le 16 mai 1955 condamnant ces accords fut largement diffusée par les journaux et les radios égyptiens avant d'être reprise par la presse tunisienne de l'époque. Il n'y avait aucun doute que Ben Youssef avait été convaincu par Nasser d'intensifier la lutte de libération nationale conjointement avec le FLN. Les évènements ultérieurs allaient le démontrer.
Il est certain que Ben Youssef agissait en dehors de la mouvance du nationalisme arabe prônée par Nasser. En effet dans un entretien publié par la revue Les Temps modernes en janvier 1956 il déclara au journaliste Charles Saumagne: «Mais pourquoi voulez vous(...) que je me prive des atouts que j'ai acquis en Orient? Je les garde dans mon jeu:il y aura un moment de choix où je n'aurais plus besoin d'eux...Comment la France ne se rend-elle pas compte que Bourguiba et les siens l'ont déjà trahi? Qu'ils se moquent d'elle alors que moi, elle ne peut me reprocher que de ne l'avoir jamais trompée».
Heykel, dans son livre L'affaire de Suez évoqua les atouts auxquels faisait allusion Ben Youssef en ces termes: «Les Français se montraient de plus en plus indignés de l'aide croissante accordée par l'Egypte à la révolution algérienne qui avait éclaté le 1er novembre de l'année précédente, et aux mouvements de libération en Tunisie et au Maroc. Ils protestaient vigoureusement contre l'installation d'un bureau au Caire, où les nationalistes de ces trois pays étaient représentés».
Bourguiba n'avait jamais fait allusion à la manœuvre de Nasser préconisant la généralisation et l'intensification de la lutte armée dans tout le Maghreb dans le but d'empêcher ou de limiter l'intervention française en cas de nationalisation du Canal ;mais il avait exprimé des doutes quant à l'efficacité d'un soutien provenant de l'Orient lors d'un meeting organisé en octobre 1955 à Kairouan «...nous sommes en droit de lui (Ben Youssef) demander de quelle force il dispose. Nous serions prêts à le suivre si la force dont il fait état pouvait peser d'une façon décisive dans la bataille. Or il n'en est rien. Ben Youssef tire son principal argument du fait que l'Algérie et le Maroc poursuivent le combat». Sans aucun doute Bourguiba faisait allusion au Bureau qui venait d'être créé au Caire.
La nationalisation du canal de Suez par Nasser eut lieu le 26 juillet 1956, malgré la guerre déclenchée par la France, la Grande-Bretagne et Israël, l'Egypte finit par récupérer le Canal et obtenir l'évacuation de la base britannique de Suez au prix d'un millier de morts.
En 1957, des partisans de Ben Youssef se réunirent à Tripoli afin de faire une déclaration à la presse et mettre fin d'un commun accord à leur hostilité à Bourguiba; l'un d'entre eux, Brahim Tobal téléphona à Ben Youssef et demanda de ses nouvelles. Celui ci s'était plaint de Nasser qui refusait de lui répondre au téléphone malgré son insistance.
Informé de la décision du groupe de mettre fin à leur opposition au régime tunisien, Ben Youssef, qui s'était fait lire le projet du communiqué,demanda un délai de quelques jours afin de lui permettre de reprendre contact avec Nasser. Le groupe se sépara sans prendre de décision. Certains avaient décidé de s'exiler définitivement, d'autres avaient pris le chemin du retour au pays.
L'accord sur l'autonomie interne ne fut qu'une étape vers l'indépendance et Bourguiba rétablit la souveraineté tunisienne totale avec l'évacuation de Bizerte en 1962 (en présence de Nasser et de Ben Bella) et la nationalisation des terres en 1964.
En dépit de ce différend tardif entre les deux leaders de la cause nationale, il est incontestable que sous leur direction le Destour avait forgé «la tunisianité» du peuple tunisien. Semer le doute à ce sujet c'est remettre en cause les repères de cette société, la plus évoluée du monde arabe, et c'est aussi la soumettre au nom de la liberté aux périls de tous les intégrismes religieux.
Je propose à M. Moncef Marzouki, l'actuel président, qui ne cache pas sa fierté de parler le langage du peuple, de bien méditer cette citation de Bourguiba : «Il est plus facile de flatter la vanité des hommes et leurs instincts que de les amener au souci des réalités et au sens de la mesure». (Bourguiba, La Galite 1954 )


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