Lorsque Bourguiba se rendit à Paris en février 1937, c'était dans le but d'établir le dialogue avec les responsables français et de mieux faire entendre la cause tunisienne et présenter des revendications tendant essentiellement à faire recouvrer à la Tunisie sa pleine souveraineté. Il se présentait au nom de tous les Tunisiens, ainsi que de celui du parti du Néo-Destour, cautionné par tous les membres de celui-ci dont Salah Ben Youssef, qui le cautionnait inconditionnellement et sans réserve. Au même moment, Pierre Vienot, alors secrétaire d'Etat aux Affaires tunisiennes et marocaines, arrivait à Tunis, où il fut reçu par les membres du Néo-Destour dont notamment le docteur Mahmoud Materi qui affirmait que « la population tunisienne, dans sa totalité est prête à apporter sa collaboration à la mise en pratique de la nouvelle politique ». Et Bourguiba de déclarer à Paris : « L'union indissoluble entre la France et la Tunisie, constitue la base de toutes les revendications du Néo-Destour ». Depuis cette date, bien de l'eau avait coulé sous les ponts. Ces négociations de 1937 n'avaient malheureusement pas abouti, surtout après la chute du gouvernement du front populaire, auquel avaient succédé des gouvernements de droite, pour que reprenne une répression des autorités coloniales, encore plus impitoyable. Au sein du Néo-Destour les membres se soutenaient et préconisaient une même stratégie pour un même combat. L'arrivée de Thaâlbi en Tunisie, en juillet 1937, avait pour but l'unité du vieux Destour avec le nouveau. Charles André Julien écrivait à ce propos : « Le cheikh nourri des idéaux spirituels et unitaires de la renaissance arabe, ne pouvait considérer avec faveur la conception fondamentalement nationaliste du Néo-Destour et sa technique laïque qui utilisait les principes fondamentaux de la religion, non comme des fins mais comme des moyens. Sa sympathie alla spontanément au vieux Destour traditionaliste et religieux, dirigé au surplus par ses vieux amis de la commission exécutive. Il tâcha de reconstituer l'unité des destours sous leur conduite ». Mais Thaâlbi sera affronté à un échec devant la nouvelle stratégie du Néo-Destour grâce à laquelle celui-ci développa son emprise sur l'ensemble du pays. A cette époque Salah Ben Youssef, membre du Néo-Destour et qui sera le secrétaire général du parti qui avait la caution de l'ensemble des adhérents, ainsi que du comité exécutif. Il se distinguera par son don d'orateur, haranguant les foules et soutenant les idées du parti qui, désormais, avait l'appui de la majorité du peuple tunisien. Il milita côte à côte au sein de ce parti avec ses membres dont Habib Bouguatfa, Mahmoud Materi, le Docteur Ben Slimane et notamment le leader Habib Bourguiba avec lequel il avait les mêmes idées et était tout autant juriste, ayant là reçu la même formation et suivi la même filière que lui. Au congrès du 2 novembre 1937, il préconisa la même attitude ferme et inconditionnelle que Bourguiba vis-à-vis de la France,et n 'en démordra pas devant la répression à outrance qui commençait à s'abattre de plus en plus sur les dirigeants du Néo-Destour, amenant certains à démissionner, dont le président, en décembre 1937. Il subira toutes sortes de torture par les autorités coloniales. Les événements sanglants se succédèrent et la lutte se développa surtout après les multiples exactions qui avaient atteint leur paroxysme en 1952, avec la nomination d'un Résident Général sanguinaire Jean De Hauteclocque. Le gouvernement français se rendit compte enfin, de l'échec de son représentant en Tunisie, et nomma un nouveau Résident général, Pierre Voisard. En 1954, la défaite française à Dien-Bien Phu obligea le gouvernement Laniel à l'époque à négocier la paix en Indochine et changer d'attitude vis-à-vis des colonies notamment au Maghreb. La nomination de Mendès-France, à la tête du nouveau gouvernement, amena peu à peu à ouvrir la porte vers l'autonomie interne, dont le principe fut approuvé en Conseil des ministres en juillet 1954. Cependant, ce fut sur ce point que commencèrent les dissensions au sein du parti du Néo-Destour, notamment entre Bourguiba et Ben Youssef. Celui-ci rejetait totalement et fermement cette solution, qui constitue, déclara-t-il, un moyen pour la France de garder la main mise sur le pays, et une sorte de double souveraineté par laquelle, le colonisateur gardera les postes clés et où les représentants tunisiens seront des subalternes. Tandis que Bourguiba préconisant, depuis cette époque, une politique des étapes, considérait que l'autonomie interne était le meilleur chemin qui menait infailliblement vers l'indépendance totale. Le 19 avril 1955 revint de Paris la délégation tunisienne, dirigée par Tahar Ben Ammar, avec le document de l'autonomie interne, afin de le soumettre au Bey. Cette délégation avait été chaleureusement accueillie par le peuple, enthousiaste et plein d'espoir et d'optimisme pour un avenir florissant du pays, longtemps opprimé et désabusé. Toutefois, en mai 1955, Salah Ben Youssef, qui repartit pour le Caire, déclara que l'autonomie interne constituait un pas en arrière dans les relations tuniso-françaises. De retour à Tunis où, dans un but de rapprochement entre les deux leaders, un accueil chaleureux lui fut réservé par les militants du parti. Mais il persista et signa, au cours d'un grand rassemblement à la mosquée Ezzeïtouna, le 7 octobre 1955. Ce rassemblement marqua le début de la rupture définitive entre les deux leaders. Exclu du parti, il décida, le 30 octobre 1955, d'instituer un nouveau secrétariat général, lui fixant un siège social à Bab Al Djazira. Le congrès de Sfax 1955, auquel il fut convié mais déclina l'invitation, et au cours duquel assista le leader Bourguiba, qui fut acclamé par un grand nombre de Destouriens, n'avait aucune commune mesure avec celui de novembre 1937, où Ben Youssef était considéré au même titre que Bourguiba, en tant que figure de proue au parti. Il avait, d'ailleurs, le titre de grand leader (Al Moujahid Al Kabir). Au congrès de Sfax, il fut déchu, destitué et couvert d'opprobre. C'était le début d'une grande tension intestine qui généra de graves perturbations dans le pays, venant gâcher cette joie ineffable de tout un peuple, auquel s'ouvrait un nouvel horizon vers un avenir florissant et prometteur et loin de tous les affres du colonialisme dont il avait tant enduré. En février 1956, la voie vers l'indépendance était bien tracée. Elle était, malheureusement, pavée de cette grande discorde entre les deux leaders, qui étaient pourtant longtemps unis, ce qui affectait considérablement le bonheur de tout un peuple et troublait la quiétude qu'il croyait avoir totalement recouvrée.