Par Khaled El MANOUBI Dans sa série d'interviews faites à la chaîne Al Mustakilla à l'approche des «élections» de 2009, l'enfant gâté de Bourguiba, Tahar Belkhodja, révèle qu'il tient de deux sources, Wassila Ben Ammar et Béchir Zarg El Aioun , que Bourguiba a fait un testament politique à Fort Saint-Nicholas selon lequel s'il lui arrivait de disparaître, Hédi Nouira devrait lui succéder. Pour qu'un détenu soumis au régime de rigueur désigne son successeur, il faut :1) qu'il soit lui-même le dévolutaire du fauteuil Tunisie ;2) et donc qu'il ait des assurances en ce sens de la puissance protectrice. Dans son livre Bourguiba ou la naissance d'une nation—c'est déjà un programme : la Tunisie, c'est Bourguiba –(Editions Julliard , Paris, début 1956 ), Félix Garas s'étonne ( p. 85) de ce que les officiers de Borj - Le bœuf—où a été détenue la direction du Néo Destour en 1934—soient au courant du procès-verbal mentionnant le refus de Bourguiba de joindre sa signature à celles de ses camarades prêts à cesser de faire de la politique comme prix de leur libération. Il y a ici une hypothèse que l'historien ne peut exclure tout à fait: et si c'est Bourguiba lui-même qui était de mèche avec la France ? Ce serait alors non pas depuis 1938 mais dès 1934 que la France a désigné son successeur lors de son éventuel départ de Tunisie. Dès la ratification des conventions de l'autonomie interne en septembre 1955, Bourguiba fit le forcing pour obtenir du Bey la convocation d'une constituante. Finalement, le Bey céda le 31 décembre 1955 par un décret dans lequel il convoque les électeurs pour le 26 mars 1956 et il s'engage à promulguer la Constitution votée par la Constituante .Cette disposition est ambiguë : stricto sensu, la Constituante est tenue de s'en tenir à la monarchie constitutionnelle du moment que le Bey, possesseur du Royaume de Tunis, sera toujours là pour lui donner force de loi fondamentale ; mais lato sensu, il s'agit d'un blanc-seing conféré par le Bey à l'assemblée de sorte qu'il y a alors un transfert de tous les pouvoirs beylicaux à la Constituante. Cependant, un hic subsiste : l'autonomie interne – et même le Protectorat – n'est pas antinomique par rapport à la Constitution sauf qu'elle n'abroge point le traité du Bardo par lequel la France — toujours présente — doit protection et à la Tunisie et à sa dynastie. Qu'à cela ne tienne : la connivence franco-bourguibienne sera activée à plein à cet égard ( voir notre article paru dans La Presse du 24/05/2011) : qu'on en juge. Le jour de la première réunion de l'actuelle constituante Ben Salah fit les déclarations suivantes à la radio dans une émission de Habib Jegham : «Ben Youssef n'a rien trouvé à redire au fait que la Constituante soit appelée à proclamer l'indépendance de la Tunisie». Il omet cependant de dire que c'est le gouvernement français qui a convoqué le grand vizir Ben Ammar pour signer avec lui le protocole du 20 mars, 6 jours avant les élections ; 2) Les élections du 26 mars sont valables .Il oublie là aussi de dire que : s'il n' y a pas eu bourrage des urnes comme ce sera systématiquement le cas par la suite, l'armée française traque les yousséfistes qui n'ont pas déposé les armes ; le parti de Ben Youssef, sans doute majoritaire, n'a pas été admis à participer aux élections. En effet, si la France a reconnu la scission néo du Destour, le gouvernement dominé par le bureau politique a traqué le secrétaire général et a interdit son parti issu d'une scission et nommé un secrétariat général. Du reste les cartes d'adhésion au Néo-Destour de Bourguiba portent en 1957 et 1958 la mention «bureau politique», mention qu'elles ne portaient pas avant la scission. Le protocole du 20 mars ôte à la dynastie la protection française et le premier article de la Constitution réaffirmant en avril que la Tunisie est un Etat indépendant — à noter : «Etat» et non royaume confirme ce lâchage. Bourguiba mettra alors Ben Salah à la tête de la commission de la Constitution groupant tous les autres présidents de commission pour geler les travaux de l'Assemblée . En effet, il était urgent d'attendre pour :1) que la France cède – de son plein gré – la police au gouvernement de Bourguiba formé en avril dans lequel Bourguiba détient et les Affaires étrangères et la Défense ; 2) que la garde nationale et l'armée soient constituées sur la base de la dévotion à Bourguiba. Ces tâches ont été accomplies en juillet 1957 et une République présidée par Bourguiba en est sortie; Bourguiba devait alors se donner un double délai, le premier pour permettre à l'armée française de finir le travail contre les yousséfistes , et le second pour que Bourguiba enfourche le cheval de la lutte pour l'évacuation ,ce qui fut fait fin juin 1958. Le jour de sa victoire personnelle, le 1er juin, il fit proclamer en 1959 une Constitution taillée à sa mesure. Au demeurant , dans son ouvrage «La Tunisie et la France» publié en 1954 (Editions Julliard, Paris,1954) Bourguiba parle d'une indépendance de la Tunisie où cette dernière reste dans «l'orbite de la France» et pour cela la France a besoin en face d'elle d'hommes «modernes et laïcs» ( p . 446) .Mais c'est une façade dont le peuple est exclu. En effet, Bourguiba, une fois au pouvoir, n'a jamais plus «prononcé les termes laïcité, laïc, sécularisation» à l'exception d'une seule fois ( voir Mustapha Kraiem, Etat et société dans la Tunisie Bourguibienne, Phenoména éditions, France, 2003, tome 1, p.246) et cette expression, la deuxième par conséquent, il l'a prononcée au sein de l'Assemblée nationale turque le 25 mars 1965 où il affirma : «la création d'un Etat laïc en terre musulmane a été, incontestablement, une nouveauté troublante».