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Exécutions sommaires, pillages, viols et piétinement de bébés par l'armée française au Cap Bon entre le 28 janvier et le 2 février 1952 Pour lutter contre l'oubli : un devoir de mémoire
Par Ezzeddine BEN HAMIDA(*) A en croire Nicolas Sarkozy : «La France n'a pas à rougir de son histoire, la France n'a jamais commis de génocide, la France a inventé les droits de l'Homme (...) la France est le pays du monde qui s'est le plus battu dans l'univers au service de la liberté des autres». La France a inventé les droits de l'Homme, ...dites-vous ? Et, si on regarde les crimes commis au Cap Bon tunisien, rien qu'au Cap Bon car votre liste est monstrueusement longue pour ne pas dire interminable (voir notre article in La Presse en date du 4 janvier «la France a-t-elle perpétré un génocide en Algérie ?») Déjà, la liste des crimes commis en Tunisie en 75 ans de colonisation est longue, très, très, longue (massacre de Sfax, 29 ouvriers tués le 5 août 1947, celui d'Enfidha en 1950, etc.), pour ce modeste papier j'ai choisi arbitrairement le livre blanc sur la détention politique en Tunisie, élaboré par la commission internationale contre le régime concentrationnaire (Bruxelles, 1953, disponible sur Internet) : l'ouvrage est très fourni en annexes et en pièces numérotés qui constituent des témoignages accablants sur l'ampleur des crimes commis au Cap Bon par les parachutistes français entre le 28 janvier et le 2 février 1952. Mais aussi quelques autres lectures personnelles, tout particulièrement l'ouvrage d'Yves Benot, Massacres coloniaux, La Découverte, 1994. Pièce numéro 1, page 91 : nous pouvons lire un extrait d'un article de deux pages de Paris-Presse l'Intransigeant du 2 février 1952 : «Amor Nachi, cheik de Tazerka, a déclaré qu'un villageois avait été tué, (...) abattu d'une rafale»; plus loin, page 92, nous pouvons également lire «Salouah Bint Derouish, une jeune fille de 17 ans, fille de l'épicier du village, est l'héroïne de Tazerka. Son père a déclaré que les soldats avaient essayé de la violenter et qu'en luttant avec un d'entre eux, elle avait eu le bras traversé par une baïonnette. Une femme a déclaré de son côté qu'en essayant d'empêcher les soldats d'entrer chez elle, l'un d'eux lui avait brisé la cheville droite. Elle gît aujourd'hui, gémissante, sur un matelas sale(...)». Pièce numéro 2, page 93 : un article de monsieur Taïeb Annabi in Le journal Nahdha, daté du 6 février 1952, nous pouvons lire «Cinq demeures furent dynamitées : celle des enfants du cheikh Abdelrrahman El-Messadi, celle d'Ali El-Messadi, celle de Laroussi Derouiche, celle d'Ali Brinis et celle de Mohamed Gacem» Le récit de notre compatriote est décisif et poignant, il relate des constats effrayants : des viols, il écrivit : «Les hommes ne purent revenir au village, vers leurs femmes que le mercredi 30 janvier vers 6 heures du soir. La nuit, ils percevaient les cris que poussaient les femmes dans chaque maison tandis que quelques-unes essayaient de fuir, d'appeler à l'aide mais la force armée les entourait de toutes parts» (P.94) Plus loin, page 95, le journaliste évoque un fait atroce : des assassinats de bébés, il écrivit «1/La fille Fatma bent Mohammed En-Nachi, âgée de vingt jours, piétinée. 2/ Le bébé Salha Ben Amor Ben Hassine En-Nachi, âgée de quarante jours, laissée à la troupe par sa mère fuyant devant les soldats et jetée par terre. 3/La fille Zohra bent Béchir Ghaleb, âgée de cinq mois, atteinte de rougeole, piétinée par les soldats. 4/ La fille Fadhila bent Mohammed Ben Mohammed Gacem, délaissée par sa mère en fuite est piétinée par la troupe (...)». Pièces numéro 3, page 95 : un article du journal Nahdha du jeudi 7 février liste une trentaine d'exécutions et d'assassinats sommaires de jeunes Tunisiens et de bébés par la légion française, de très nombreux viols : 6 seulement à Tazerka : Hanifa, Chadlia, Mme Ahmed, Sallouha, Salha et Manoubia. Cette dernière et pauvre dame, en plus du viol, les légionnaires français lui ont tué son enfant âgé d'un an et demi qu'elle tenait dans ses bras. Des pillages et une trentaine de maisons dynamitées sont également stipulés. Le comble, après les exécutions, les pillages et les viols, les légionnaires avaient obligé les femmes tunisiennes de leur préparer à manger et de pourvoir à tout leur ravitaillement. Inutile de s'attarder sur toutes les pièces, elles sont toutes aussi effarantes et stupéfiantes l'une que l'autre. Elles décrivent toutes des exécutions et des assassinats sommaires, des pillages et des viols commis dans certains villages et certaines villes du Cap Bon, particulièrement Kélibia, Tazerka, Hammam-Laghzez, Béni-Khiar , Menzel, Maamoura, Nabeul (5 manifestants tués...), Hammamet (2 tués...), etc. sans oublier évidemment les arrestations arbitraires de plus de 2000 personnes et internées dans le camp de concentration de Servière à Fondouk-Djedid. Le correspondant de l' Associated Press écrivit, après sa visite seulement à Tazerka : «Il s'agit de crimes prémédités, d'expéditions punitives minutieusement organisées et effectuées avec une sauvagerie implacable». (Pièce 4, P.100) Plus loin, page 105, nous pouvons lire par exemple, suite aux résultats de l'enquête de la Chambre d'agriculture tunisienne du Nord : «A El-Maâmoura : (...) Destruction du mausolée de Sidi Ben-Aïssa. Mosquée souillée et tanks se promenant au cimetière. 6 maisons détruites (...)». Par ailleurs, un témoignage assez frappant d'un Tunisien et ancien soldat dans l'armée française, qui disait lors d'un entretien avec un envoyé spécial de Soltas, page 107 : «Monsieur, j'ai été soldat dans l'armée française pendant quatre ans, de 1939 à 1944. J'ai été partout. Toujours nos officiers nous disaient : jamais piller, jamais saccager, jamais toucher aux femmes. C'est ainsi que nous avons parcouru l'Europe, même l'Allemagne. La première fois que j'ai vu de ces choses, c'est ici, dans mon propre village. Je suis compensé !». La lectrice et le lecteur constateront le haut niveau de mépris et de xénophobie de l'armée française à l'égard des Arabes et en l'occurrence ici à l'égard des Tunisiennes et Tunisiens Et pourtant... Rares les matins où nous feuilletons nos journaux français sans y trouver un article ou une chronique, aussi petite soit-elle, qui ne nous rappelle pas que la France est la patrie des droits de l'Homme ! Rares les soirs où nous allumons nos postes de télévision sans y trouver un programme sur la mission civilisatrice de la France : patrie des droits de l'Homme ! Rares les mois où nous achetons nos revues sans y trouver une rubrique faisant l'éloge de la grandeur de la France : patrie de l'Homme ! Rare... ! Très rare... ! Pourquoi autant de rabâchement, de ressassement, de matraquage et d'obsession ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un monstrueux et gros mensonge que les autorités françaises veulent matraquer, rabâcher, ressasser... afin que la communauté internationale finisse par y croire; comme un criminel à force de nier farouchement son crime finit par se convaincre, se persuader, de son innocence ? Le rabâchement de la sémantique «patrie des droits de l'Homme» n'est-il pas une rhétorique politique fédératrice, galvanisante, des dirigeants politiques autour de leur République qu'ils savent qu'elle est aux abois (2.000 milliards de dettes, soit 89,5% de leur PIB, 8 millions de pauvres dont 2 millions d'enfants, plus de 4 millions de chômeurs, près de 5 millions de personnes souffrant d'addiction – particulièrement l'alcoolisme —, 3 millions de foyers surendettés, etc.) ? Ne devrions-nous pas instituer une commission pour réécrire notre histoire coloniale et faire la lumière sur ces crimes perpétrés, justement, par la patrie des droits de l'Homme ? Pour ainsi indemniser les victimes qui sont encore vivantes et traduire en justice les coupables encore vivants et demander réparation à ceux qui ont inventé les droits de l'Homme ! E.B.H. *(Professeur de sciences économiques et sociales)