J'emprunte ce titre à Paul Verlaine(*), pour parler, aujourd'hui, du mensonge qui règne dans notre pays, et comme si la révolution du 14 janvier n'avait jamais existé. Ou, plutôt, que d'une révolte populaire, contre la dictature, pour le pain et la dignité, elle n'avait été qu'un simple chuchotement de révolution pourtant entendu, à travers toute la planète. Le mensonge, on le sait, est universel, et nous en sommes complices, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement, selon les régimes qui nous gouvernent, nos mœurs, nos traditions et nos aptitudes aux changements. Chez nous, et depuis quelques mois, est apparue, s'est installée, une sorte de déguisement du néant dont on se demande comment nous allons nous en sortir. Le «mensonge du ravin vert», c'est, justement, cette idée d'imposture ou de mythomanie, que des forces occultes, qui se sont progressivement dévoilées, qui nous a fait croire et espérer en la verdoyance des choses alors qu'il ne s'agissait que d'un trou inculte, un précipice dangereux qui attend encore notre culbute vertigineuse. Autant dire le néant. Autrefois, on disait bien que tout gouvernement devait cacher son secret pour mieux mentir contre son peuple et ne le faire évoluer que selon ses intérêts. Ces «menteries» selon Emile Zola, menteries successives, font qu'au bout du compte et à force de se contredire mènent les gouvernants tout droit au mur en laissant bien des ravages auprès des gouvernés, c'est-à-dire du bon peuple qui a fini d'ailleurs par s'en immuniser à force de s'y être adapté. Adapté à toutes les situations pourvu qu'on lui laissât son champ de liberté intact pour vaquer à ses besognes quotidiennes. Et d'ailleurs, jusque-là, c'est-à-dire avant ce fameux «Printemps arabe» qui désespère à fleurir, le Tunisien ne sachant vivre qu'au quotidien, l'avenir ne représentait pour lui que l'espace d'une ou deux générations. Au-delà, ce ne sont que des zones réservées aux utopistes ou à des califes ardents, messagers pleins de menteries et dont on ne suppose même pas le contenu. Le délabrement mental dans lequel se sont englués nos nouveaux gouvernants autant que le peuple qui n'en finit pas de souffrir ne présage rien de bon. Pour les premiers dont beaucoup d'entre eux ont longtemps vécu dans les geôles de la dictature et pour le bon peuple, prisonnier lui-même dans l'enclos à ciel ouvert, il y a quelque chose dans la personnalité tunisienne qui se trouve en voie de décomposition. Chacun devenant le pygmalion de lui-même et, à force d'affirmer sa différence, c'est le constat de la négation de l'identité tunisienne elle-même dont il s'agit aujourd'hui. On l'a vu à travers les aspects ostentatoires, les déguisements, les dénigrements de notre ancienne histoire, de nos emblèmes, de notre drapeau même. «Mon Dieu! me disait une amie, la Tunisie est devenue complètement maboule ! Il faut la mettre sur un divan!». Vous, messieurs les psychiatres, vous allez avoir du pain sur la planche! A moins que, n'ayant pas pu, ou su, raison garder, vous allez entrer, à votre tour, dans ce cycle infernal pour vous faire violence! Prenez garde au mensonge du ravin vert! Prenez garde…