(El kedhb fil msalah jaiz) ; « Le mensonge est permis quand il est question de préserver ses intérêts », dit le dicton de chez nous. Nous avons là le feu vert de la plus haute instance, la société, de disposer de la vérité comme bon nous semble, la déformer, la nier ou la taire pour défendre nos intérêts personnels. La chose paraît choquante, mais ce n'est qu'une impression, car en y voyant de plus près, en traitant la question avec un peu de rationalité, on se rend compte à l'évidence que cela est tout à fait normal. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler une règle très simple : la réussite de tout projet nécessite la mise en place de moyens efficaces. Il s'en suit que l'outil le plus approprié pour défendre ses privilèges c'est le mensonge, voilà tout, la chose n'a rien d'inconvenant ; quand les buts changent, les moyens doivent suivre, chaque époque a sa logique. On ne vit plus au temps de l'altruisme, de la naïveté où l'intérêt général était sacralisé. Finie l'époque du renoncement à soi-même et de la transparence : en l'absence d'intérêt, il y a la vérité, alors que sa présence ne peut s'accommoder qu'avec l'ennemi juré de celle-ci, le mensonge. Pour pouvoir récolter des avantages, on est dans l'obligation de camoufler ses intentions, de farder sa vérité, leur dévoilement nous attire des rivaux, nous crée des jaloux. Dans le royaume du mensonge, la vérité est un élément perturbateur, un agent subversif, elle compromet notre paix. En réalité, la relation du mensonge avec la vérité est paradoxale et traduit son inconséquence, puisqu'il prend son apparence tout en la récusant. Bien qu'il soit le maître absolu, il ne peut pas gouverner en son propre nom tellement il est hideux, il emprunte celui de sa rivale pour se rendre acceptable : le mensonge se farde de vérité. C'est sous ces beaux dehors qu'il est accueilli dans toutes les sphères de la vie sociale et qu'il devient synonyme de réussite. Parmi ses grands adeptes, il y a lieu de citer les charlatans qui pullulent dans la société et excellent dans l'art du mensonge. Ces imposteurs vendent tout ce qu'ils n'ont pas, santé, réussite, fortune derrière lesquelles ils courent en profitant des gens fragilisés par les problèmes. Vous trouvez des voyants frappés de cécité qui prétendent voir l'invisible, ils entraînent derrière eux des cortèges de « malvoyants » qui, à force de vouloir trop voir, beaucoup plus loin que leur champ de vision finissent par perdre la vue et la raison, puisqu'ils se détachent de leur présent et s'inscrivent dans un temps futur illusoire taillé à leur mesure par ces escrocs. Les couleurs des cartes se mêlent au noir du café et se perdent dans les lignes de la main pour leur livrer le paradis des songes : on donne l'espoir au pauvre de s'enrichir, au raté de réussir, au malheureux de se réjouir. Vous avez aussi des guérisseurs mal en point qui promettent la bonne santé à des malades. Le mensonge s'insinue même dans le giron familial, il est présent entre époux et aussi entre parents et enfants. Avant le mariage, on se promet attachement et dévouement, union pour le meilleur et pour le pire, mais aucun des deux partenaires ne tient ses promesses, car là aussi on promet ce qu'on n'a pas : généralement la femme s'engage à offrir un cœur ardent, embrasé de passion dont la flamme s'éteint juste après les noces, elle redescend de l'empyrée de l'amour et devient « rationnelle » dès qu'elle obtient le statut de femme mariée. L'homme de son côté, sous l'emprise de la passion nuptiale, promet la voiture, les week-ends, les voyages..., beaucoup plus que ce qu'il est capable de faire et c'est la déception pour la mariée qui, si elle a basé la relation sur ces promesses, demanderait le divorce à la première difficulté financière. Quand les partenaires n'honorent pas leurs engagements respectifs, la confiance s'en va, et un nouveau cycle est inauguré, celui du mensonge qui s'installera définitivement dans leur foyer. Parallèlement à ce mensonge de ménage, nous avons le mensonge « technologique » inventée par le téléphone. C'est l'instrument de mensonge par excellence, on dirait qu'il était inventé uniquement pour remplir cette fonction et spécialement pour les moins doués, ceux qui n'ont pas l'audace nécessaire pour affronter les autres. Derrière cet appareil magique, la voix s'aiguise et la timidité s'enhardit, on est libéré de la gêne que pourrait nous causer la présence de l'autre, on est à l'abri de son regard inquisiteur, ce détecteur de mensonge, qui nous fait perdre notre confiance en nous-mêmes; quand il est braqué sur nous, nos cordes vocales se relâchent, on balbutie et on se trahit. Alors, loin de lui, on se livre à notre passion favorite à loisirs, on peut simuler une indisposition pour justifier un manquement à une obligation, éviter un rendez-vous ou décliner une invitation : la voix s'affaiblit, on tousse très fort, on respire bruyamment, on gémit, on fait la comédie. Sur ce plan, il serait juste de reconnaître au téléphone les mêmes vertus que le théâtre, puisqu'il nous apprend à être ferme, incisif, on est maître de la situation qu'on dirige dans le sens qu'on veut exactement comme l'acteur sur la scène qui oriente l'attitude de son public à sa guise par son art. Avec son évolution, le téléphone a permis au mensonge de prendre une nouvelle dimension. Effectivement, le portable a inventé une nouvelle catégorie de menteurs et un nouveau type de mensonge : les enfants ont intégré le cercle des grands. Au départ, les parents se félicitaient de cette création merveilleuse qui permet de rejoindre n'importe qui, n'importe où, à n'importe quel moment. Alors, subjugués par les fonctions magiques de cet appareil très pratique, ils en ont équipé leurs enfants croyant mieux les contrôler ainsi: savoir s'ils sont rentrés de l'école, s'ils sont allés au cours particulier, s'ils sont chez la tante où on les a déposés... Mais après cette période d'émerveillement, ils ont réalisé à quel point ils étaient naïfs, ils ont compris que, puisqu'il est mobile, ce portable ne peut pas les fixer dans l'espace. Ils en ont conclu que c'est un instrument qui aide moins à surveiller le comportement des enfants qu'à camoufler leurs mensonges. Par exemple, une jeune fille peut se trouver dans un endroit suspect et rassurer ses parents qu'elle est chez son amie en train de réviser ; un garçon peut faire l'école buissonnière et faire croire aux siens qu'il est en classe. Il a fallu qu'ils soient secoués par la réalité pour que les parents rectifient leur erreur en arrêtant de croire aveuglément aux bienfaits du portable, ils ont enfin compris qu'ils doivent aussi compter sur leur vigilance. Cette expérience décevante du portable n'a pas arrêté d'interpeller ces derniers qui ne réalisent pas encore comment leurs enfants usent du mensonge alors qu'ils leur ont toujours inculqué sa haine. En fait, ils doivent se rafraîchir la mémoire, car ce péché mignon existait bien avant l'avènement du portable, et c'était eux les précepteurs de cette ancienne école comme ils le sont aussi pour la nouvelle d'ailleurs. N'ont-ils pas appris à leurs disciples de dire qu'on n'était pas là quand on ne voulait pas répondre à un indésirable ou à un créancier ? Donc on n'a pas à s'étonner, le mensonge n'est pas un nouveau venu, il ne nous est pas étranger, c'est un produit familial mais qui a grandi, voilà pourquoi il nous est si méconnaissable : avant, avec le fixe, il consistait à être ou ne pas être, aujourd'hui, il devient être partout et nulle part.